L’AIE voit l’avenir énergétique fossile

Sylvestre Huet

L’Agence Internationale de l’Energie vient de publier son analyse annuelle des perspectives énergétiques. Et donc climatiques. Le World energy outlook 2019 confirme que les tendances actuelles mais également les politiques annoncées par les Etats sont en contradiction totale avec les objectifs climatiques de l’Accord de Paris (2015) dont Donald Trump vient d’annonce le retrait des Etats-Unis.

Un graphique suffit à résumer l’analyse de l’ AIE : 

Les trois scénarios de l’ AIE présentés en fonction de leurs émissions de CO2 liées à l’énergie.

La division par deux des émissions à l’horizon 2050, une nécessité pour ne pas dépasser les 2°C d’augmentation de la température moyenne de la planète relativement au niveau pré-industriel, suppose une rupture montre ce graphique. Non seulement avec les tendances actuelles qui conduisent à des émissions de pus de 40 milliards de tonnes de CO2 par an. Mais aussi par rapport aux annonces des gouvernements qui se traduiraient, si elles étaient appliquées, ce qui demeure douteux, par des émissions d’environ 36 milliards de tonnes de CO2 par an. Respecter l’objectif de l’Accord de Paris suppose de diminuer ces émissions aux alentours de 15 milliards de tonnes de CO2 par an à l’horizon 2050.
Le WEO-2019 peut sembler optimiste si l’on y isole les progressions attendues, très rapides, des productions d’électricité renouvelable, solaire et éolienne. Mais ce regard oublie qu’elles ne se substituent que très peu aux productions d’origine fossile , charbon et gaz, tandis que les usages du pétrole pour le transport demeurent prépondérants. L’AIE prévoit que la consommation totale d’énergie va continuer de croître d’ici 2040. Avec des augmentations de productions importantes dans certaines régions, comme le pétrole et le gaz de schiste aux Etats-Unis. 


Les centrales électriques actuelles et futures si l’on croit les promesses des gouvernements. Les courbes des renouvelables sont en hausse rapide, mais dupent le lecteur inattentif. Il s’agit en effet des puissances installées et non des productions attendues. Or, l’intermittence intrinsèque des panneaux solaires et des éoliennes fait que leurs courbes seraient nettement moins à la hausse si le graphique représentait les productions attendues et non les puissances installées.

Centrales à charbon

L’une des transformations radicales du système énergétique évoquée par l’ AIE comme indispensable à l’atteinte des objectifs climatique ne peut manquer de faire sursauter. Il s’agit en effet de la capture et stockage du CO2 sorti des centrales électriques au charbon. Comme l’ AIE ne prévoit pas que ces dernières disparaissent, c’est effectivement la seule solution pour éviter un nouvel envol des émissions. D’où ce graphique : 


 

Pour l’ AIE, la seule solution pour éviter au moins 5 milliards de tonnes d’émissions de CO2 par les centrales à charbon en 2050 est leur équipement avec des dispositifs de capture et stockage en sous sol du CO2 émis. Il faut noter que le graphique ne présente que les centrales déjà existantes et celles en construction. 

Or, la technologie de capture et stockage en sous-sol du CO2 émis par les centrales à charbon, ou à gaz, demeure chère et n’a aucune chance d’être mise en place sans des politiques vigoureuse de recherche, mais aussi d’imposition par la réglementation ou une taxe élevée sur l’émission de CO2.
Parmi les ruptures nécessaires à la diminution drastique des émissions de CO2, l’usage massif du pétrole pour la motorisation des transports s’impose comme incontournable. Et donc leur électrification. Mais pour que cette électrification s’opère avec efficacité, il est nécessaire que les véhicules, leurs batteries et leurs moteurs soient fabriqués avec une électricité déjà décarbonée, et non seulement leur alimentation future. Or, lorsque Elon Musk annonce le lancement d’un méga-usine en Europe pour fabriquer ses voitures électriques, il choisit… Berlin comme site. Le problème est que, dans les 15 ans à venir, l’électricité allemande sera au moins aussi carbonée qu’elle l’est aujourd’hui avec l’arrêt des dernières centrales nucléaires en 2022. Combien carbonée ? Le graphique ci-dessous le montre pour ce jour du 14 novembre


 

Système électrique allemand le jeudi 14 novembre vers 10h. Plus de la moitié de la production vient des énergies fossiles, et l’intensité carbone, avec 417 grammes par kwh produit est quatre fois plus élevée qu’en France au même moment. En Europe, trois pays, France, Suède et Norvège offre des productions électriques massivement décarbonnées toute l’année, c’est là qu’il faudrait investir en priorité dans les usines de voitures électriques et de leurs batteries et moteurs.

Rupture de pente
La rupture de pente représentée par les émissions annuelles de 15 milliards de tonnes pour 2040 du scénario vert de l’ AIE ne peut donc survenir sans des transformations radicales des systèmes énergétiques, des modes de production, de consommation et d’échange. Mais il serait très imprudent de croire que la technique suffira à attendre ces objectifs très ambitieux. Il faudra aussi diminuer les consommations de matières premières, d’énergie et d’objets manufacturés dans les pays riches. Une transformation économique et culturelles impossibles à réaliser sans toucher à l’organisation sociale et aux valeurs liées à la consommation.
Parmi les transformations de l’organisation sociale, la réduction drastique des inégalités de revenus et patrimoines s’impose comme un axe majeur. L’économiste Thomas Piketty en présente la raison ainsi : «Pourtant tout indique de plus en plus clairement que la résolution du défi climatique ne pourra se faire sans un puissant mouvement de compression des inégalités sociales, à tous les niveaux. Avec l’ampleur actuelle des inégalités, la marche en avant vers la sobriété énergétique restera un vœu pieux. D’abord parce que les émissions carbone sont fortement concentrées parmi les plus riches. Au niveau mondial, les 10 % les plus riches sont responsables de près de la moitié des émissions, et les 1 % les plus riches émettent à eux seuls plus de carbone que la moitié la plus pauvre de la planète. La réduction drastique du pouvoir d’achat des plus riches aurait donc en tant que telle un impact substantiel sur la réduction des émissions au niveau mondial. Par ailleurs, on voit mal comment les classes moyennes et populaires des pays riches comme des pays émergents accepteraient de changer leur mode de vie, ce qui est pourtant indispensable, si on ne leur apporte pas la preuve que les plus aisés sont mis à contribution. La séquence politique observée en France en 2017-2019, étrangement absente de la campagne, apporte une illustration dramatique et emblématique de ce besoin de justice.»

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