Marcel Arland, Terres étrangères, Varennes, 1923.
Les gares
Gare de Poinson-Beneuvre
Cette gare de la ligne terminus qui nous intéresse est en même temps située entre Châtillon et Is-sur-Tille. Au début du siècle, y circulent 11 trains par jour.
De nombreux employés travaillent à la gare. Avant la Grande Guerre 21 personnes habitent le quartier qui fait partie du territoire de Poinson, 28 autres logent dans 5 barrières aux minuscules logements. De plus, quelques employés de la Compagnie habitent Beneuvre, Bussières ou Grancey-le-Château.
Le dépôt de locomotives pouvait abriter deux machines. Il a été repris par les établissements Ronot, marchands de grains qui en ont fait une partie de leurs entrepôts. La plaque tournante servait chaque fois que la locomotive devait repartir vers Langres.
Un château d'eau qui existe était alimenté par un étang de près d'un hectare situé derrière le café. Une petite maison abritait une machine à vapeur au charbon servant à actionner une pompe qu'il fallait mettre en route tous les deux jours. Plus tard, une pompe électrique plus efficace a remplacé toute cette machinerie complexe.
Collection Mademoiselle Frochot - Bussières (Côte-d'Or)
Le camp
En 1917, non loin de la ligne, des soldats américains sont venus installer un camp spécialisé dans les gaz de combat. Bouteilles d'acier et obus contenant des produits nocifs telle l' ypérite arrivent et repartent par le rail. Parfois, des fuites ont lieu, le père Lallemant chargé d'ouvrir les wagons sera "gazé".
Les enfants du quartier de la gare qui vont à l'école à Poinson longent le camp. Ils doivent emporter un masque à gaz fourni par les Yankees, avec livres, cahiers, et, bien sûr, le repas de midi.
Les bouteilles et les obus ayant eu des fuites seraient encore enterrés dans les champs qui bordent la route. Des espions allemands venus voir d'un peu trop près les installations ont été fusillés.
La laiterie
Vers 1920, une laiterie est montée près de la gare par la société parisienne des Fermiers Réunis. Le lait stérilisé est expédié vers la capitale par le train.
L' établissement est géré d'abord par Raymond Mangin puis par Paul Daclon venu du Jura. Ce dernier en 1926 fait travailler 6 employés. À la même époque, son frère Louis créé l'entreprise Daclon-Begel à Chalindrey.
Deloix a racheté cette laiterie pour y établir une scierie qui a fonctionné peu de temps. Il ne reste plus rien sur place de ces industries. Le lait de la région est alors ramassé par le père Russiaux de Poinson pour les laiteries de Bourgogne. Sa tournée durait longtemps car sa mule n'avançait guère. Il ajoutait alors de l'eau oxygénée au lait pour qu'il ne soit pas tourné avant d'arriver à Dijon par le train.
Quelques voyageurs
Vers 1920, la gare de Poinson-Beneuvre a été tenu par Poupon puis par Auguste Mercier, qui envoie ses enfants à l'école de Villars par le train, et, de 1936 à 1949, par Camille Toussaint. Ces chefs de gare vendent des billets à de nombreux voyageurs. Quelques uns peuvent retenir notre attention.
Le baron Charles d' Avout qui habite le château de Poinson ne veut pas vendre ses propriétés utiles à la construction du chemin de fer. Il est exproprié en 1880. Parmi ses descendants, un garçon malade s'est perdu dans les bois. Ses restes ne seront retrouvés que l'année suivante. Deux filles, femmes de fortes personnalité, ne manquent pas une messe mais osent contredirent le prêtre pendant qu'il prêche. l'une d'elle, madame Yvonne, dirige l'exploitation de la ferme, l'autre mademoiselle Léonie, professeur de musique devient agent d'assurance à Saint Dizier et revient chaque semaine à Poinson par le train.
Marthe Abry née en 1904 est institutrice au village pendant 27 ans. Elle vit avec sa soeur Marcelle qui fait l'école à Poinsenot puis à Vivey. Toutes deux partent à la gare en bicyclette ; elles vont parfois à Langres et souvent à Dijon.
Le chanoine Paul Fournier né à Damrémont est curé de Poinson de 1937 jusqu'à sa mort en 1964. C'est un passionné de la nature, surtout des plantes. Après de sérieuses études, il devient un spécialiste de réputation mondiale.
@tourisme-langres.com
Il publie de nombreux articles et des livres qui illustre lui-même. On le voit souvent s'occuper de ses abeilles ou se promener avec une grande boîte métallique dans le dos : il récolte des plantes avec leurs racines afin de pouvoir les dessiner. Les gens qu'il rencontre, s'ils lui parlent flore, sont des amis. Il leur offre de l' hydromel de sa fabrication et se met alors à discuter pendant des heures. Sa servante Marthe le rappelle gentiment à l’ordre de temps en temps, mais lancé sur un sujet qui l’intéresse trop, il en oublie parfois ses activités pastorales. Jamais le chanoine n'aura d'auto. C'est à vélo ou à pied qu'il se déplace pour aller à Poinsenot ou à la gare.
L'hôtel de Nina
Dès la mise en service de la gare, Pierre Poisson originaire de Haute-Saône fait construire un hôtel pour y installer sa femme et ses 4 jeunes enfants.
En 1886, cet établissement commence à bien fonctionner grâce à l'activité importante de cette gare carrefour. Pierre Poisson trouve la mort sur un chantier lointain où il travaillait. Sa veuve exploite le café avec ses deux filles Berthe et Nina.
En ce début de siècle, le café a une bonne clientèle qui donne bien du travail à la famille Poisson. Mais en plus, tous s'occupent d'un élevage d'escargots. On en achète aussi aux ramasseurs de la région et à des Alsaciens. Les animaux sont parqués au bout de l'étang. Après chaque commande, les gastéropodes sont préparés, cuisinés au beurre et emballés dans des caissettes que fabriquent le fils, Emile, menuisier à Grancey-le-Château. C'est par le train que partent des milliers de bons escargots haut-marnais baptisés de Bourgogne, vers les particuliers ou les restaurateurs des villes et de la région parisienne.
Pendant la guerre de 1914, Celina Poisson, Nina, qui a pris seule la direction de l' hôtel après le mariage de sa soeur recueille sa belle-sœur et ses neveux. Les enfants vont à l'école à Poinson à pied.
Nina a beaucoup de travail avec son café et les 4 chambres de l'hôtel. Les intérimaires, les représentants, les livreurs, les passagers et les voyageurs animent continuellement ce quartier qui compte une cinquantaine de personnes.
En plus, la cabaretière loue des terrains à la Compagnie de l'Est pour nourrir une vache et un gros poney qui attelé à une petite voiture peut, à la demande, conduire les voyageurs dans les villages voisins. L'hôtelière est obligée d'utiliser les services d'une domestique qui l'aide à bien servir ses clients. En 1931, c'est Marguerite Damotte de Bure qui fait là son apprentissage d'aubergiste, métier qu'elle exercera plus tard en se mariant avec le fils du café Pitoiset à Giey-sur-Aujon.
Derrière l'hôtel, l'étang de la gare était loué par Nina. Les carpes, les tanches, la friture et les grenouilles étaient servies aux clients. Les Langrois de la première moitié du siècle aimaient chaque dimanche d'été prendre le petit train ou la micheline. Ils venaient goûter les spécialités de Nina. Avant de repartir, ils se délassaient en jouant aux quilles ou en canotant sur l'étang.
Un des clients préférés de Nina était Edouard Fourgoux, un marchand de tissus de Haute-Auvergne. Il séjournait à l' hôtel de la gare à chaque hiver. Il sillonnait la région pour vendre des services de table, des trousseaux et des mètres de toile ou de drap. De temps en temps il recevait à la gare de nouveaux rouleaux de tissus qu'il livrait en les détaillant. Prisonnier de guerre, il est revenu d'Allemagne diminué. sa femme l'a alors aidé quelque temps dans son métier. À cette époque les gens de la région ne pouvaient se déplacer souvent. Ils achetaient des étoffes et faisaient faire leurs costumes et leurs robe par des couturières habitant chaque village ou par le père Bresse tailleur à Poinsenot.
En 1940, Nina ne veut pas partir en exode. quand elle se décide, les allemands arrivent. À ce moment-là, un train sanitaire est bloqué à la gare. Pendant quelques jours, il faut ravitailler les nombreux blessés qui gisent sur des brancards dans les wagons. L'un 'eux décède. Il est enterré provisoirement sous le poirier de Nina. Les Allemands font ensuite hospitaliser les hommes les plus gravement atteints puis le train repart.
En été 1944, la toiture de l'hôtel endommagée lors du bombardement de la gare, l'est encore lorsque les démineurs font exploser les bombes non-éclatées.
Après la guerre, Nina continue son commerce. De temps en temps, elle reçoit son frère ancien militaire au Dahomey devenu homme de lettres parisien. Il vient habiter le petit château de Vesvrotte de mai à novembre. Sous le pseudonyme de Charles Val, il écrit des feuilletons. Sa femme Claude Montorge est compositeur de musique.
Nina continuera avec une clientèle de plus en plus réduite jusqu'en 1973 utilisant toujours la trappe et l'échelle pour descendre à la cave remplir les chopines : elle a 95 ans.
En 1944
La gare est souvent visée par les maquisards nombreux dans la région. Les Allemands ripostent et convoquent à la Komandatur de Langres Fernand Minot, le maire de Poinson, un ancien gradé de la guerre 14-18 qui n'a jamais eu froid aux yeux. Il part donc en vélo. On veut lui faire dire où se trouvent les résistants. toute la journée, il reste debout, devant des cartes, une mitraillette pointés sur son ventre. finalement, les Allemands le laissent repartir, menaçant de brûler tout le village et de tuer des otages si la ligne est encore attaquée. Au retour, il va prévenir les F.F.I. de la région à Vivey et au moulin de Valosse.
Lamy, à Vivey, trouve une solution qui ne devrait pas mettre en danger les habitants du secteur. Un bombardement est demandé par radio. Des aviateurs mitraillent les locomotives stockées sur les voies de garage et lancent des bombes qui creusent des grands entonnoirs sur les lignes et autour de la gare.
Après la libération, tous les gens sont heureux et veulent bien vivre. Jean Balland facteur receveur, joueur de violon à Poinson et les employés du chemin de fer décident d'organiser des fêtes de la gare qui ont beaucoup de succès en 1946 et 1947.
Des films
En 1971, Pierre Granier-Deferre a tourné "la veuve Couderc" à Cheuge en Côte d'Or. Il revient dans la région pour un nouveau film "le Train" tiré d'un roman de Georges Simenon.
En 1973, les acteurs logent au château de Prangey. Ce sont Romy Schneider, Régine, Maurice Biraud, Jean-Louis Trintignant et Serge Marquand.
Des scènes sont tournées à la gare de Recey. On recrute des figurants jusqu'à Langres. Une séquence du film a lieu en gare de Poinson-Beneuvre. Mesdames Balland, Pisaneski et Rouget recrutées sur place sont costumées et montent dans le train qui fait quelques aller et retour entre la gare et le pont. La société Lira-film verse 67.03 F à chacune pour leur participation à cette journée.
Robert Lamoureux est venu aussi à Poinson-Beneuvre pour l'un de ses films de la série de "la 7e Compagnie". La ligne de Recey à Is-sur-Tille est celle qui convient le mieux pour évoquer les voyages en chemin de fer de la première moitié du siècle.
À suivre...
Bernard Sanrey, Le petit train de la montagne haut-marnaise, de Langres à Poinson-Beneuvre, pp. 13-20, 1990.
Aujourd'hui
Pour compléter
Les petits trains de la Grande Guerre
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