Gérard Kafadaroff. (Crédits : DR)
Les choix politiques concernent de plus en plus des sujets scientifiques et techniques dont la complexité s'accroît. Des décisions rationnelles et éclairées doivent s'appuyer sur la connaissance scientifique et donc au recours d'experts et conseillers qualifiés. Est-ce bien le cas ? Par Gérard Kafadaroff & le Collectif Science-Technologies-Actions (*),
Les discours politiques prônent régulièrement l'intérêt de la recherche et de l'innovation. En 2000 à Lisbonne, le Conseil européen s'était fixé l'objectif de «devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde». Plus récemment, le 21 février 2017, l'Assemblée nationale adoptait une « Résolution sur les sciences et le progrès dans la République ». Les actes n'ont pas suivi !
Contrairement à d'autres grands pays, les scientifiques français sont peu considérés, marginalisés par les politiques, parfois dénigrés. C'est le cas des agences d'évaluation lorsque leurs avis s'écartent des choix politiques ou quand de grands débats nationaux tel le Grenelle de l'environnement laissent la portion congrue aux scientifiques. Les politiques s'appuient sur les compétences de hauts fonctionnaires issus de grandes écoles (ENA , Sciences Po, ...) peu familiers de la démarche scientifique. La culture scientifique paraît exclue de la culture générale dans un 21e siècle envahi par la technologie.
La formation scientifique n'est pas l'atout majeur du personnel politique français, ce qui amène la fuite des experts plutôt que leur consultation. Une exception : l' OPECST (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques) dont les avis étayés ne sont pas davantage pris en compte.
Instrumentalisation du principe de précaution
La démarche scientifique ou simplement rationnelle et factuelle n'est pas le mode de fonctionnement habituel des politiques dont la tendance est de céder à l'opinion publique dominante, à la pression médiatique ou à l'idéologie de leur camp politique et particulièrement à l'idéologie omniprésente véhiculée par l'écologie politique qui présente le naturel paré de toutes les vertus et le progrès technologique source de nuisances et de dangers. S'ajoute une instrumentalisation du principe de précaution pour répondre aux attentes sécuritaires de la population.
La notion de progrès portée par les Lumières a amorcé son déclin ! Des politiques avouent naïvement baser leur point de vue sur une profonde conviction plus proche de la foi que de la rationalité. Pour certains d'entre eux, des opinions répétées deviennent des preuves irréfutables.
Discours alarmistes
Les discours alarmistes de faux lanceurs d'alerte ou les avis de scientifiques mettant la science au service du militantisme sont plus écoutés que les recommandations venant d'une expertise collective et pluridisciplinaire, qu'il s'agisse d'une agence d'évaluation comme l'EFSA avec sa centaine d'experts chevronnés ou de l'Académie des Sciences et ses 260 académiciens.
En 2016, l'appel de cent prix Nobel en faveur des OGM et du riz doré n'a pas été suivi du moindre débat tant sur les bénéfices des OGM que sur le riz doré permettant de sauver des centaines de milliers de personnes victimes de la carence en vitamine A.
Les responsables politiques choisissent plutôt de s'afficher avec des célébrités du show-biz qu'avec d'éminents scientifiques !
Ainsi, sans hiérarchisation des risques, sans analyse préalable risques/bénéfices, sans examen des situations hors de l'Hexagone, des décisions sans fondement scientifique sont prises pénalisant des secteurs entiers de l'économie.
C'est le cas de l'énergie avec la fermeture du surgénérateur Superphenix en 1997 responsable du considérable retard de la filière des réacteurs de 4e génération déterminante pour l'indépendance énergétique et la gestion des déchets ou celle, programmée, de la centrale nucléaire de Fessenheim, décision politicienne déconnectée de l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ou encore du développement sans discernement de l'éolien et du solaire photovoltaïque.
C'est le cas de l'agriculture qui se voit refuser l'accès aux progrès génétiques (OGM) et contester l'utilisation des intrants chimiques (produits phytopharmaceutiques, engrais).
Le cas le plus emblématique est celui du désherbant glyphosate que le gouvernement actuel veut interdire. Utilisé depuis plus de 40 ans dans le monde sans rencontrer de problèmes majeurs, reconnu pour ses performances et son bon profil toxicologique, cet herbicide de référence a fait l'objet d'une campagne de dénigrement soudaine et violente révélant entre autres l'ignorance de la réalité agricole par les responsables politiques. Le prétexte : le classement du glyphosate « cancérogène probable » par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer), comme la viande rouge (!), agence discréditée par la communauté scientifique dont l'avis est contesté par les 11 autres agences sanitaires mondiales ayant évalué le glyphosate.
L'inquiétante émergence d'une science dite "participative"
La science est reléguée au second rang par les politiques. Plus inquiétant, la voir menacée dans ses fondements par l'émergence d'une science parallèle dite « participative » voulant impliquer le citoyen dans la construction du savoir, avec la complicité de certains scientifiques. Malgré ses échecs patents, (OGM, nanotechnologies, Haut Conseil des Biotechnologies), cette démarche, s'inscrivant dans l'idéologie post-moderne, est encouragée par de nombreux politiques souhaitant peser indirectement dans le domaine scientifique.
Tout aussi grave, le «refus de savoir» cautionné par les politiques, que se soit pour les gaz de schistes ou les OGM dont l'expérimentation au champ a été stoppée suite aux exactions des « faucheurs d'OGM » ou pour l'INRA, l'abandon de la recherche sur la transgenèse à vocation variétale. Les innovations technologiques apportent des bénéfices à la société et peuvent présenter des risques. Qui, mieux que les scientifiques ont la capacité de les évaluer ?
Alors que le rythme et la sophistication des technologies s'accroissent au fil des ans, le faible intérêt accordé par les politiques aux scientifiques a de graves conséquences dans de nombreux domaines vitaux : désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques, motivation et exil des chercheurs, dynamisme des organismes de recherche, capacité d'innovation, crédibilité des choix politiques, vitalité de la démocratie, place de la France dans une compétition mondiale essentiellement technologique.
(*) Gérard Kafadaroff est ingénieur agronome, fondateur de l' AFBV (Association française des biotechnologies végétales). Dernier livre paru: « OGM : la peur française de l'innovation » (éd. Baudelaire).
Science-Technologies-Actions est un Collectif dont le but est de défendre et promouvoir la Science dans le débat public. Son site : https://sciencetechaction.tumblr.com/
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