Suisse : planquez vos chats, l'aigle est de retour!

Par Vincent Donzé

Le rapace le plus noble a été aperçu dans le canton de Neuchâtel. Une première depuis deux siècles! À son menu: marmottes et renardeaux, mais pas seulement…


L'aigle royal est de retour dans le canton de Neuchâtel. Image: Huguenin-Margand

Deux siècles, presque trois sans aigle royal dans le canton qui a fait sa Révolution en 1848. L’absence constatée depuis 1737 (suivie en 1830 de la disparition de l’aigle noir) est désormais comblée: le rapace a été observé dans la République! Bonne nouvelle? Pas pour les chats: «L’arc jurassien étant plus pauvre en marmottes que le massif alpin, les chats constitueront une proie», prévient l’ornithologue François Turrian, président romand de BirdLife.
De quoi effrayer Tomi Tomek, fondatrice du refuge SOS Chats, à Noiraigue, à côté de la réserve naturelle du Creux-de-Van? «Ce sont les chats de ferme qui seront exposés au milieu des champs», précise Jean-Daniel Blant, conservateur au Musée d’histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds, qui a observé l’aigle royal avec son homologue de Neuchâtel Bernard Claude. Avec la marmotte, présente au Chasseron, le renardeau a le gabarit de ses serres et de son estomac, tout comme le lièvre, le faon ou le tétras. «Il peut manger une proie de six kilos et en tuer une de 15», précise Jean-Daniel Blant.
L’aigle remarqué par Bernard Claude tenait des branches dans son bec. A-t-on constaté une couvée? «À voir ses parades, le couple semble très amoureux. Mais on ne s’attend pas à une reproduction cette année», répond Jean-Daniel Blant. Où le nid a-t-il été observé? Quelque part entre le Chasseron et le Creux-du-Van, dans une forêt rocheuse. «On ne vous le dira pas précisément!» disent ceux qui l’ont vu. François Turrian acquiesce: «Les photographes animaliers peuvent être sans connaissances et sans scrupule: leur présence peut faire fuir un couple et détruire une nichée.» Une remarque qui ne vaut pas pour Patricia Huguenin-Margand, qui a saisi l’aigle en vol.

Gare aux éoliennes
Longue vie à l’aigle royal! Sauf que… «Aux États-Unis, la première cause de mortalité de l’aigle royal, ce sont les éoliennes: les parcs éoliens constituent une véritable menace pour les aigles, les vautours et les cigognes», prévient François Turrian. Pourquoi? «Les aigles utilisent les courants thermiques sur les crêtes pour monter en spirale. Percevoir les pales à une hauteur de 200 m leur est difficile.» Le conflit est programmé. Des éoliennes subventionnées, il n’y en a pour l’heure aucune sur les crêtes neuchâteloises, alors qu’elles ont fleuri plus à l’ouest. Mais 50 projets ont été préavisés positivement et 22 sont sur liste d’attente. Des notions de territorialité qui n’ont aucune emprise sur l’aigle: «Trois coups d’aile et il se rit des frontières cantonales et nationales…» soupire l’ornithologue de BirdLife.
Si l’aigle royal (trois couples) séjourne depuis 2009 dans l’arc jurassien, c’est parce qu’il se porte bien en dépit des câbles, des drones, des parapentes et des forestiers, après avoir été chassé au début de XXe siècle. Une véritable persécution: «On l’accusait de manger du bétail et… des enfants», rapporte François Turrian.
Sa protection dans le massif alpin dès 1926 lui a permis de s’y réinstaller durablement, dans les falaises. Quelque 350 couples nichent sur sol suisse. Mais la bonne santé d’un oiseau symbolique est à double tranchant: «L’aigle royal peut masquer une réalité: dans le Val-de-Travers, l’alouette des champs à disparu dans l’indifférence générale», remarque François Turrian. Le retour de l’aigle royal donne l’impression que la nature se porte bien, alors qu’il n’y a jamais eu autant d’espèces menacées sur la liste rouge. (Le Matin)

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