Grande-Bretagne : avis de tempête sur la distribution

Danièle Pederzoli  
15 juillet 2018
 

Professeur de Marketing et directeur des programmes en distribution, Neoma Business School
Déclaration d’intérêts

Daniele Pederzoli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.


 
Fondés en 1928, les magasins British Home Stores ont fermé en 2016. NIKLAS HALLE'N/AFP

Les crises en série qui affectent les entreprises de la grande distribution britannique semblent être les symptômes d’un changement de paradigme plutôt que de perturbations temporaires.
Pour ne rappeler que les débâcles les plus importantes on peut citer la disparition de BHS, la faillite de Toys ‘R’ Us suite à la mise en liquidation de la maison mère américaine, les grandes difficultés dans lesquelles se trouvent empêtrées Claire’s et New Look, les réductions d’effectifs de la part de Tesco, Sainsbury’s et Asda, mais aussi la récente annonce de House of Fraser qui va fermer plus de la moitié de ses grands magasins.
Si toutes ces situations ont des causes en partie différentes, quatre points communs témoignent de tendances de fond pour la distribution britannique, et devraient également faire réfléchir les entreprises françaises… 

Des contraintes structurelles qui pèsent sur le pouvoir d’achat
La première cause de ces crises à répétition est structurelle : il s’agit de la pression qui s’accroît sur les classes moyennes dans plusieurs pays européens. Sur ce point, la situation de la Grande-Bretagne est particulière, car le pays a été fortement touché par la grande crise de 2007/2008. Le pouvoir d’achat en termes réels n’a pas progressé depuis au moins une dizaine d’années. À cette tendance s’ajoutent les conséquences du Brexit. La dépréciation de la livre sterling, surtout, a entraîné une augmentation des coûts de tous les produits importés. On comprend donc facilement que le pouvoir d’achat des consommateurs est sous pression et que des arbitrages importants sont nécessaires.
Cette pression sur le pouvoir d’achat s’est notamment traduite par le développement, depuis 2007/2008, des formats discount : les discounter allemand Aldi et Lidl étaient présents dans le pays depuis des décennies, mais ils n’avaient jamais vraiment percé jusqu’à la grande crise. Les deux entreprises sont actuellement à l’offensive sur le marché britannique, grâce également à de nouvelles stratégies de localisation et d’assortiment qui correspondent mieux aux attentes des consommateurs. Par ailleurs, dans le même temps, d’autres chaînes à petit prix ont émergé, comme Poundland ou Poundworld. Celles-ci remettent au goût du jour la formule du « magasin à prix unique », qui semblait avoir été oubliée à la fin des années 1960.

La concurrence du commerce en ligne
La deuxième raison de la crise est certainement le développement des ventes hors magasin et en particulier sur Internet. La Grande-Bretagne est l’un des pays le plus développés au monde en matière de e-commerce : fin 2017, celui-ci représentait déjà environ 17 % de toutes les ventes au détail, selon Planet Retail.
Même si la croissance des ventes en ligne va ralentir dans les prochaines années, il est évident que le niveau atteint pose déjà des nombreuses questions aux entreprises existantes. D’un côté il faut absolument être omni-canal, donc capable de répondre aux attentes du consommateur avec un parcours fluide et totalement transparent pour le client final. De l’autre, il faut travailler avec le parc de magasins existants pour inciter les consommateurs à continuer de les fréquenter.
Les deux stratégies demandent des investissements importants et une agilité organisationnelle et opérationnelle totalement inédite dans le secteur de la distribution. Cela nous conduit directement à la troisième cause des déboires des entreprises britanniques : le niveau d’endettement.

L’endettement, un lourd fardeau quand la concurrence s’exacerbe
En période de durcissement de la concurrence, les marges baissent. Pourtant, c’est précisément le moment où certains investissements deviennent indispensables. Dans cette situation, les entreprises les plus endettées, qui ne peuvent faire face à la situation, s’écroulent rapidement. Cela a été le cas pour BHS et pour Toys ‘R’ Us. New Look aussi est plombé par une dette très élevée, absorbant trop de ressources, lesquelles ne peuvent être consacrées à l’investissement.
Très souvent, cette dette est la conséquence d’opérations de LBO qui ont été très à la mode et ont souvent apporté de gros bénéfices sur le court terme. Toutefois celles-ci, souvent totalement irrationnelles dans le secteur de la distribution, ont montré leurs effets délétères sur le moyen terme. On pourrait ajouter à cela la très généreuse politique de distribution de dividendes de la part de certaines entreprises déjà en difficultés et qui les a définitivement épuisées, comme l’ont montré les polémiques qui ont suivi la faillite de BHS, voici seulement un an.

Un système managérial à revoir
Enfin la quatrième raison est probablement liée au système managérial des entreprises britanniques, célèbre pour être fortement centralisé et hiérarchisé.
Certes, cette organisation a représenté un avantage compétitif quand le modèle de la distribution était basé sur la taille et les économies d’échelle. Elle s’est en revanche révélée un point faible lorsque les entreprises ont dû mettre en place des offres personnalisées pour les consommateurs, ou imaginer des assortiments pointus pour les clients qui fréquentent des magasins de taille réduite situés dans des zones urbaines, ou encore acquérir des capacités d’animation des magasins ou de conseil à la clientèle qui devant tenir compte des spécificités de chaque emplacement et de chaque client et non plus se baser sur des standards nationaux.

La France n’est pas mieux lotie
Le cadre n’est pas plus brillant pour la distribution française. Dans notre pays, la consommation est atone depuis plusieurs années, et l’e-commerce enregistre, comme en Grande-Bretagne, des taux de croissance à deux chiffres. À ces deux facteurs, qui nous rapprochent de la situation britannique, s’ajoute une guerre des prix qui est loin de s’arrêter et réduit encore davantage les marges des entreprises.
Les crises de MIM, de Ludendo (La Grande Recrée) ou du Groupe Vivarte confirment que le secteur est profondément bousculé, et que des changements de modèle stratégique sont indispensables. Les facteurs clés du succès d’un modèle de distribution qui a dominé pendant 60 ans sont désormais à réinventer.

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