Sécurité européenne : le jeu dangereux de l’Allemagne

De Jean-Pierre Riou
 
 

La colère de Donald Trump
Dès l’ouverture du sommet de l’OTAN, mercredi 11 juillet, Donald Trump a fustigé ses « amis » européens en raison de l’insuffisance de leur budget de défense et a tiré à boulets rouges sur l’Allemagne en raison de son jeu dangereux avec la Russie.
L’Europe, en effet, n’aurait pas respecté son engagement de consacrer 2% de son budget à sa défense militaire.
Et c’est désormais 4% que le président américain aurait exigé lors de la séance plénière.
Selon « Le Monde » [1], le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a reconnu qu’il était nécessaire, dans l’intérêt même de l’Europe, de pouvoir « être en mesure en 2030 de déployer sous trente jours 30 bataillons mécanisés, 30 escadrilles et 30 navires de combat pour faire face à une opération militaire de la Russie, identifiée comme un potentiel agresseur. »

Le cavalier seul allemand
C’est dans ce contexte que le projet de gazoduc Nord Stream, qui doit relier directement la Russie à l’Allemagne, apparaît inacceptable pour Washington, pour la raison qu’il augmente la dépendance européenne au bon vouloir de la Russie.
En effet, ce projet très controversé menace de mettre à mal la stratégie de l’Europe en matière de gaz naturel liquéfié dont le développement permettrait de diversifier son approvisionnement.
C’est pour cette raison que la Commission Européenne y est défavorable et que l’Europe centrale fait bloc pour s’y opposer juridiquement [2].
La Pologne et l’Ukraine ont appelé appelé à prononcer des sanctions à son encontre en mai dernier [3].

L’axe Moscou-Berlin
L’ancien chancelier allemand G. Schröder, déjà lié à Gazprom et récemment nommé président du conseil d’administration du géant pétrolier russe Rosneft, est le plus ardent défenseur de ce projet de gazoduc.
Le rapport EWI 2016 [4] analyse la dépendance européenne au gaz à horizon 2035 selon les scénarios envisagés. Dans chaque scénario, cette dépendance augmente en raison des besoins qui seront au moins constants et de l’effondrement de la production de l’ U.E et de la Norvège.
Dans tous les cas de figure, l’Allemagne est appelée à devenir la plaque tournante du gaz et d’en tirer de substantiels revenus.
La transition énergétique allemande (Energiewende) fait la part belle à ce gaz, tant par la fermeture des réacteurs nucléaires, que par la nécessité de réduire le charbon, en raison des surcoûts liés à l’évolution prévisible de la taxe carbone, et par le caractère intermittent de la production des énergies dites « renouvelables » : éolienne/photovoltaïque qui lui interdit de remplacer durablement le recours aux énergies fossiles.
Selon ce rapport EWI, l’évolution de la dépendance européenne à la Russie sera fonction de 2 facteurs :

  • La stratégie de compétitivité de Gazprom
  • La mise en place, ou non, du gazoduc Nord Stream et le développement, ou non, du corridor gazier sud européen

Gerhadt Schröder, dont le dernier geste en tant que chancelier avait été d’en approuver la construction [5], a été nommé, ainsi que le rapporte Der Tagesspiegel, président du conseil d’administration de la société Nord Stream, qui appartient à Gazprom [6].
Et le scénario Gaz on Sale (GoS), qui se profile ainsi, privilégierait l’axe Moscou-Berlin et entrainerait une nette augmentation de la dépendance européenne à la Russie.
Les 2 illustrations ci-dessous récapitulent les conditions de chaque scénario envisagé (fig S1) et les sources d’approvisionnement prévisibles selon chacun (fig 2.1)



Source rapport EWI 2016




Source rapport EWI 2016

Il apparaît ainsi que le scénario redouté entrainerait, à horizon 2035, une dépendance de l’Europe à la Russie supérieure de 50% par rapport au scénario Nord Dream (NoD) dans lequel le projet Nord Stream serait bloqué.
Le renforcement de cette dépendance, dans le contexte géopolitique actuel, expose l’Europe à un risque indéniable.
Et c’est la raison de la colère de Donald Trump qui accuse la politique énergétique de l’Allemagne pour ce qu’elle promet d’enrichir la Russie et de renforcer le lien avec elle dont dépend toute l’Europe.

Le dindon de la farce
Contrairement à une idée largement répandue, le coût négligeable des importations d’uranium de la France ne fait pas dépendre sa sécurité d’approvisionnement des tensions géo politiques.
Et, pour la Commission européenne, c’est son parc nucléaire qui lui permet d’avoir un taux d’indépendance énergétique bien supérieur à celui de la moyenne [7].
La fermeture de tout réacteur jugé sûr par l’ ASN aura pour principal effet de réduire cette indépendance, et d’affaiblir considérablement le pays sur la scène internationale.
Or celle-ci n’est pas un long fleuve tranquille.

1 https://www.lemonde.fr/international/article/2018/07/11/le-partage-des-depenses-de-defense-au-c-ur-du-sommet-de-l-otan_5329620_3210.html

2 https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/l-europe-centrale-fait-bloc-contre-le-projet-nord-stream-2/

3 https://www.spglobal.com/platts/en/market-insights/latest-news/natural-gas/052518-sanctions-only-solution-to-block-nord-stream-2-natural-gas-pipeline-polands-pgnig

4 www.ewi.research-scenarios.de/cms/wp-content/uploads/2016/10/Options-for-Gas-Supply-Diversification.pdf

5 https://fr.sputniknews.com/international/201610051028052238-schroder-pdg-nord-stream/

6 https://www.tagesspiegel.de/politik/nord-stream-2-neuer-job-fuer-gerhard-schroeder-bei-gazprom-tochter/14643886.html

7 http://lemontchampot.blogspot.com/2018/05/chronique-dun-suicide-collectif.html


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