Face à cette imbrication publique/privée de plus en plus forte, que devient réellement le rôle de régulation de l’Etat ? Est-il encore en mesure de faire respecter les intérêts publics et d’encadrer les comportements des multinationales ?
Publié par l’association Alter-médias, l’Observatoire des multinationales a été créé pour aller plus loin que les rapports de communication des grandes entreprises, et vérifier leurs impacts de façon indépendante. Sous la responsabilité éditoriale d’Olivier Petitjean, « Le vrai bilan du CAC 40 » analyse donc les pratiques des multinationales françaises par rapport à des exigences sociétales au sens large, et non selon les seuls intérêts de leurs dirigeants et actionnaires. Parmi les nombreux impacts des entreprises du CAC 40 dans la société française, ce bilan s’intéresse notamment aux « complaisances et conflits d’intérêts » générés par la frontière de plus en plus floue entre le monde privé et public.
Crédit Photo : Sharon McCutcheon
« Sur les 57 PDG, directeurs généraux et présidents du conseil d’administration qui dirigent aujourd’hui les géants du CAC40, on trouve ainsi un peu plus d’un tiers (20) de patrons ayant fait leurs armes à l’ENA et Polytechnique puis dans un grand corps de l’État. Si l’on ne retient que les patrons de nationalité française, la proportion atteint presque la moitié. Sur les 40 entreprises du CAC, 19 ont au moins un dirigeant (PDG, DG ou président du CA) issu de ce moule. »
Olivier Petitjean La dernière campagne présidentielle a bien mis en exergue ce phénomène lorsqu’une série de scandales a évincé François Fillon du second tour. Emplois fictifs pour sa famille, consultant fort bien payé pour des multinationales françaises comme Axa, conférences données dans des nations du pétrole comme la Russie ou le Kazakhstan, l’ancien Premier Ministre de Nicolas Sarkozy a su tirer parti de son carnet d’adresse politique au profit de ses intérêts privés.
Loin d’être une exception, François Fillon n’est pas le seul à profiter des deux sphères. Le rapport désigne ces parlementaires qui font également parti de conseils d’administration d’entreprises comme « Olivier Dassault, député depuis 1988 (avec une interruption de 1997 à 2002), et son père, Serge Dassault, décédé en mai, et qui avait été sénateur de 2004 à 2017, Bussereau (député jusqu’en 2017 et président du conseil général de Charentes-Maritime) à CMA-CGM, Philippe Dominati (au conseil de surveillance de Teleperformance) ou encore Alain Marsaud, qui n’a pas été réélu en 2017 et siège dans plusieurs filiales de Veolia. Mentionnons aussi François Brottes, bombardé en 2015 PDG de RTE, filiale d’EDF en charge des réseaux électriques, juste après avoir été rapporteur de la loi sur la transition énergétique. »Même schéma pour l’exécutif en place : Emmanuel Macron travaillait auparavant pour la banque Rotschild ; le Premier ministre Édouard Philippe est l’ancien directeur des relations publiques d’Areva ; Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, est une ancienne employée de Veolia ; Muriel Pénicaud, Ministre du travail, était directrice des ressources humaines de Danone, avant de rejoindre en 2014 Business France.
Les deux secteurs où cette particularité se manifeste le plus sont ceux de la finance et de l’énergie, à travers l’Inspection général des finances et le corps des Mines qui sont devenues des « usines à grands patrons », produisant le plus de PDG du CAC 40 : Jean Lemierre à BNP Paribas, Alexandre Bompard à Carrefour, Jean-Charles Naouri à Casino, Stéphane Richard à Orange, Pierre-André de Chalendar à Saint-Gobain ou Frédéric Oudéa à la Société générale. Du second proviennent Denis Ranque (Airbus), Jean-Laurent Bonnaffé (BNP Paribas), Isabelle Kocher (Engie), Jean-Pierre Clamadieu (Solvay et bientôt Engie), Patrick Pouyanné (Total) et Jacques Aschenbroich (Valeo).
Pour Olivier Petitjean, « La compénétration entre la haute fonction publique et les grandes entreprises n’est pas un phénomène nouveau en France. Mais depuis trente ans, avec les politiques de privatisation et la diffusion au sein même de l’État d’une idéologie délégitimant l’intervention publique et favorable au secteur privé, cette imbrication est devenue un instrument d’influence des multinationales tricolores sur les autorités publiques, plutôt que l’inverse. Elle a favorisé la constitution d’une sorte d’« État profond » public-privé, persuadé de d’incarner l’intérêt supérieur du pays, en mesure de s’opposer efficacement aux velléités de réforme des élus. »
Face à cette imbrication publique/privée de plus en plus forte, que devient réellement le rôle de régulation de l’Etat ? Est-il encore en mesure de faire respecter les intérêts publics et d’encadrer les comportements des multinationales ? Comment nos dirigeants politiques peuvent-ils servir l’intérêt des citoyens lorsqu’ils se retrouvent de plus en plus coupés de leur quotidien ?
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