La transition énergétique de la France, c’est apprendre à se passer des combustibles fossiles

Bernard Durand*
 06 Juillet 2018

 «La fermeture des centrales nucléaires mènera chez nous pour l’essentiel à leur remplacement non pas, par de l’éolien et du solaire photovoltaïque, mais par des centrales à combustibles fossiles, comme c’est le cas maintenant au Japon»


Centrale nucléaire de Cruas et de Meysse en Ardèche.
© Sipa Press


Les contraintes géologiques sur la production des combustibles fossiles sont maintenant telles que la quantité maximale d’énergie pouvant être fournie chaque année à l’humanité par ceux-ci, pourrait décliner à partir de 2025-2030 1. Compte-tenu de l’augmentation encore rapide de la population mondiale, ce déclin serait encore plus fort par habitant de la planète. Une réflexion urgente sur les conséquences de ce déclin pour la France était donc à mener dans le cadre de la révision de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui vient de se tenir. Cela n’a pas été le cas !

La politique énergétique actuelle de la France est surréaliste : la principale direction indiquée par le gouvernement en matière de transition énergétique est la fermeture progressive des centrales nucléaires au profit de l’éolien et du solaire photovoltaïque. C’est pourtant l’importance de ce nucléaire qui a permis à la France de réduire sa consommation de combustibles fossiles (et ses émissions de gaz carbonique) à un niveau qui est de loin le plus faible de tous les grands pays industrialisés !

Combustibles fossiles. Or la fermeture des centrales nucléaires mènera chez nous pour l’essentiel à leur remplacement non pas, par de l’éolien et du solaire photovoltaïque, mais par des centrales à combustibles fossiles, comme c’est le cas maintenant au Japon, car les électricités éoliennes et solaires, intermittentes, ont besoin de centrales pilotables de soutien pour pouvoir être utilisées. Cela faute de moyens de stockage de l’électricité suffisamment importants, pour sans doute très longtemps.

Il fallait au contraire concentrer en priorité les efforts, non pas sur le développement de l’électricité éolienne et solaire, mais sur le remplacement du pétrole, le premier qui connaîtra son déclin, par l’énergie nucléaire, et par les énergies renouvelables produisant de la chaleur (chaleur solaire, biomasse…), et non de l’électricité, dans les secteurs qui en sont les plus consommateurs, les transports et l’habitat. Il aurait ainsi été possible de commencer à se prémunir contre un déclin forcé de notre approvisionnement pétrolier dans peu d’années. Beaucoup de temps et énormément d’argent ont ainsi été gaspillés.

Il est urgent de se ressaisir ! Le nucléaire est la plus grande chance de la France pour faire face aux défis qui s’annoncent à court terme. Il faut donc, non pas le réduire, mais au contraire presser le pas pour le développer. Il faut aussi construire rapidement les réacteurs surgénérateurs qui nous assureront des milliers d’années de ressources énergétiques.
Les électricités renouvelables sont loin d’être à la hauteur des attentes. L’éolien et le solaire photovoltaïque, sur lesquels beaucoup disent compter pour assurer la transition énergétique, même s’ils progressent rapidement en ce moment, ne pourront à l’évidence jouer qu’un rôle secondaire face à des échéances aussi proches, car il leur faudrait des taux de croissance véritablement fantastiques pour cela.
En effet, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), leur contribution n’était encore en 2015 que de quelque 2 % de l’approvisionnement mondial en énergies primaires, contre environ 82 % pour les combustibles fossiles. Pour l’Europe à 28, il s’agissait d’environ 3 % et 72 %. Pour la France, il s’agissait d’environ 1,5 % et 46 %, la contribution relativement faible des combustibles fossiles étant due dans son cas à l’importance du nucléaire. Les chances que l’éolien et le solaire puissent compenser le déclin des combustibles fossiles aux échéances indiquées paraissent donc bien minces, particulièrement en France puisque sa production d’électricité en utilise très peu. Quant au nucléaire, sa contribution à l’approvisionnement mondial en énergie primaire était en 2015 selon l’AIE de 4,9 pour le monde, 14,9 pour l’Europe (à 28) et de 45,2 % pour la France. Le nucléaire a donc également peu de chances de pouvoir compenser ce déclin à ces échéances, sauf en ce qui concerne la France.

Incertitudes et désaccords. Ces analyses ne procèdent bien sûr pas d’une science exacte : des incertitudes et des désaccords existent encore sur les estimations des réserves restantes de combustibles fossiles, et sur celles de leurs vitesses de production futures. Mais il faut raisonner en probabilité : celle du déclin de l’offre possible totale d’énergie primaire fournie par les combustibles fossiles vers 2025-2030 est forte, tout comme l’est celle d’un accroissement de sa demande sous l’effet de la poussée démographique et de l’aspiration de populations très nombreuses à plus de bien-être. S’agissant de la France, la politique énergétique la plus sage qu’elle puisse suivre est donc d’anticiper leur déclin, en premier lieu celui du pétrole, plutôt que d’avoir à le subir.
 
Quelles sont les échéances des énergies fossiles à l’échelle mondiale ?
S’agissant du pétrole, celui des combustibles fossiles qui connaîtrait le premier son déclin, l’énergie maximale pouvant être fournie annuellement par la production de pétrole dit tout liquide (addition du pétrole conventionnel, du pétrole dit de schiste, des pétroles extra-lourds, des liquides extraits du gaz naturel et des pétroles synthétiques) déclinerait à partir de 2020, peut-être 2025, cela malgré le développement rapide du pétrole de schiste depuis 2010. Le pétrole conventionnel, qui représente les trois-quarts des quantités de pétrole tous liquides, est déjà en déclin depuis 2006.
Le gaz naturel a la même origine que le pétrole et sa production connaît les mêmes contraintes géologiques. Exploité en masse un peu plus tard que le pétrole, il devrait connaître son pic de production autour de 2030, peut-être un peu plus tard si le développement du gaz de schiste a lieu à l’échelle mondiale au lieu de rester cantonné aux Etats-Unis comme actuellement.
Le charbon est celui dont l’évolution des productions est la plus difficile à analyser. La date du pic mondial n’est pas aussi bien cernée que pour le pétrole et le gaz. Il s’agirait de 2030-2035 3. Mais cela pourrait être bien avant. En effet le pic de production de la Chine, qui fournit actuellement environ la moitié de la production mondiale, semble très proche 4.

Quelles sont les contraintes autres que géologiques ?
Les contraintes géologiques ne sont pas les seules à gouverner les productions. Il y a aussi les contraintes économiques et politiques : des prix trop élevés provoquent un déclin de la demande, des crises économiques ou politiques réduisent les productions annuelles par rapport aux possibilités permises par la géologie. Les pics de production sont alors retardés et leur hauteur est moindre, mais les quantités disponibles chaque année sont alors encore plus faibles. Un exemple est celui des chocs pétroliers de 1973 et 1979, qui ont eu pour effet de retarder la venue du pic pétrolier mondial d’au moins 10 ans, mais aussi de réduire la croissance mondiale.

*Bernard Durand est géochimiste des combustibles fossiles, ex-directeur de la division Géologie-Géochimie de l’IFPEN, ex-directeur de l’ ENS de Géologie

1 Durand, B., 2018. Petroleum, natural gas and coal: nature, formation mechanisms, future prospects in the energy transition . A paraître, EDP Sciences, 2018.
3 Heinberg, R. and Fridley, D., 2010 : The End of Cheap Coal. Nature 468, 367-369
4 Fridley, D. et al., 2012 . Review of China’s Low-Carbon City Initiative and Developments in the Coal Industry . Ernest Orlando Lawrence Berkeley National Laboratory.

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