Dans le Lot, les résidus de la méthanisation polluent les sols

Jean-Louis Lasserre
Jean-Louis Lasserre est ingénieur retraité et vit dans le Lot.

Commentaire : quand il y a un doute, il n'y a pas de doute !
Stoppons la destruction du monde rural !


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Une unité de méthanisation des effluents d’élevage à Mayrac, dans le Lot. Wikipedia (GrandBout/CC BY-SA 4.0)

  Le Lot connaît un fort développement de la méthanisation, ce procédé de production de gaz à partir de déchets organiques. Or, selon l’auteur de cette tribune, la solution choisie dans le département d’épandage massif des résidus menace directement la faune et les eaux potables.
Le Lot subit un fort développement de la méthanisation. Ces unités sont de type industriel (Bioquercy à Gramat ; 64.000 tonnes d’intrants), ou semi-industriel (Mayrac : 14.500 tonnes). Quatre autres (68.000 tonnes au total) sont en cours d’étude. Ces unités produisent du biogaz, transformé en l’électricité, avec production d’eau chaude et de digestat. Ce dernier, résidu du processus de méthanisation, est stocké puis épandu.

  Ce digestat brut liquide est la forme la moins élaborée, la moins coûteuse et la plus impactant pour les sols très peu épais sur les calcaires du causse. Il est partiellement « hygiénisé », c’est-à-dire qu’il n’est pas dénué de tout germe pathogène agressif (kystes de parasites, Bacillus cereus et clostridies), de virus émergent, ni de résidu d’antibiotiques. Assimilé à un engrais, il vient en substitution des engrais minéraux et des lisiers, sans toutefois les remplacer complètement. Il est très sensible au ruissellement. La surface totale concernée dans le Lot englobe plus de 10.000 ha. Son épandage constitue une menace majeure pour les eaux souterraines et nos captages AEP (alimentation en eau potable), parce qu’une partie de ces produits a toutes les chances d’être lessivée et entraînée rapidement dans l’eau souterraine, origine exclusive de l’eau du robinet de tout le département du Lot.



Le type de digestat répandu dans le Lot 

  Nous ne sommes absolument pas opposés à la méthanisation, mais à la manière dont elle est conduite ici : épandage de digestat brut liquide et non de compost, qui serait sur nos terrains calcaires très fissurés et de très faible épaisseur (5 à 15 cm) la seule alternative viable. Ce point est souligné par de nombreux scientifiques [1] et par le guide d’épandage des effluents en milieux karstiques réalisé par les administrations et les institutionnels du Doubs [2].
 
  Ce digestat brut liquide qui n’est pas stabilisé n’est pas adapté aux sols karstiques

Ces épandages conduisent aussi à une mortalité constatée massive et quasi immédiate des abeilles au voisinage des champs et prairies épandus, associée à une mortalité aussi importante des vers de terre. Ces derniers remontent à la surface et meurent ! Que se passe-t-il pour d’autres variétés d’insectes ?
Un collectif de paléontologues de renommée internationale a alerté, sans succès, les ministères de la Culture et de l’Environnement sur l’impact des épandages vis-à-vis des grottes préhistoriques ornées et de la faune cavernicole.



Les abeilles d’une ruche à proximité d’un champ d’épandage peu après celui-ci

  Ce digestat brut liquide qui n’est pas stabilisé n’est pas adapté aux sols karstiques, comme l’affirme le guide d’épandage des effluents. En effet, avec un rapport C/N (carbone sur azote organique) inférieur à 8, un effluent ne doit pas être épandu sur des sols dont l’épaisseur est inférieure à 25 cm. Or les digestats produits ont des C/N très faibles, compris entre 1,2 et 3 ! Cela signifie que les excès d’azote vont être entraînés dans le milieu souterrain, sans être utilisés par les sols, mais en polluant l’eau.
  Nous avons d’ailleurs constaté des pollutions avérées, en particulier 360 m3 déversés sur le causse à Alvignac, sur plus de 700 m, à la suite d’une rupture de vanne sur une poche souple, à proximité d’un captage AEP (réseau souterrain de Padirac).
  Ces pollutions ont permis de récupérer du digestat (provenant de Bioquercy). Les analyses mettent en évidence la présence de plusieurs métaux lourds en grande quantité et aussi des siloxanes, dont le D4, (reprotoxique, considéré comme perturbateur endocrinien [PE]). Que doit-on penser de l’épandage de tels effluents liquides sur des sols calcaires fissurés ? Chacun sait que la circulation des eaux en milieu calcaire s’effectue de manière souterraine et pour une grande partie rapidement.

  La mortalité constatée des abeilles et des vers de terre interpelle. Celle des abeilles observée ici est massive et quasi immédiate après les épandages qui en sont la cause de manière incontestable. Les ruches sont situées à proximité de la prairie épandue avec du digestat brut liquide. Elle est probablement due au dégagement de gaz ammoniac et de gaz soufré.
Dans d’autres départements, d’autres solutions sont retenues pour les résidus de méthanisation
  Pour les vers de terre, que doit-on penser ? Leur diminution est spectaculaire, comme souligné par des scientifiques, de deux tonnes à l’hectare en 1950, il semble que l’on passe actuellement à 200 kg ! Ces derniers se reconstituent-ils ? La réponse ne semble pas connue si l’on se réfère à la feuille de route de juin 2017 de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) sur la méthanisation :
  Les verrous spécifiques au traitement, à la transformation et à la valorisation agronomique du digestat sont :
  • le déficit de solutions de récupération de la matière organique, des macronutriments (N, P, K, S) et micronutriments ;
  • le manque de connaissances sur les conséquences du retour au sol des digestats sur la vie des sols, de l’humus ; sur le bilan à long terme ; sur l’impact de la méthanisation sur la dégradation de la matière organique. 



Les vers de terre remontent mourir à la surface

  Il est légitime de s’interroger, au vu de ce document et des effets déjà constatés, sur les conséquences à grande échelle, pour notre département, d’un épandage de digestat non adapté. De plus, compte tenu de sa composition, ce dernier soulève d’autres interrogations par rapport aux teneurs maximales en métaux lourds et PCB à ne pas dépasser, qui sont spécifiées dans les arrêtés préfectoraux d’autorisation. D’autres composés nocifs ne sont pas recherchés (siloxanes par exemple).
  L’ensemble des politiques et décideurs du département et de la région (parc naturel régional des Causses et du Quercy, M. Malvy, président du comité de bassin Adour-Garonne, M. Launay, président du comité français de l’eau et coordinateur des assises nationales de l’eau, etc.) ont été informés du dossier mais n’ont pas encore donné suite.
  Nous constatons que dans d’autres départements, d’autres solutions sont retenues pour les résidus de méthanisation : production de digestat avec séparation de phase, qui permet l’obtention de compost, non impactant pour les sols karstiques (parc régional des Grands-Causses). Ce développement de la méthanisation, tel qu’il est pratiqué dans le Lot, à grande échelle, conduit dans une impasse environnementale, vis-à-vis de l’eau, des sols et des insectes.


[1] La Vie quercynoise du jeudi 7 décembre 2017 : « Enjeux pour la santé publique (1er volet) : La communauté scientifique s’élève contre les projets de méthanisation dans le Lot » et La Vie quercynoise du jeudi 21 décembre 2017 : « Enjeux pour la santé publique (2e volet). Pourquoi le type de méthanisation adopté dans le Lot fait-il courir un risque sanitaire ? ».
[2] Guide d’épandage en milieu karstique, Urfac - chambres d’agriculture, agence de l’eau Rhône-méditerranée-Corse, conseil régional de Franche-Comté, 2015. Lire aussi : La méthanisation, une bonne solution menacée par le gigantisme

Source : Courriel à Reporterre
Photos : © Lasserre sauf :
. chapô : une unité de méthanisation des effluents d’élevage à Mayrac, dans le Lot. Wikipedia (GrandBout/CC BY-SA 4.0)

- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

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