19/06/2018
La centrale nucléaire de Golfech. (Crédits : Reuters)
Les tensions annoncées sur les hydrocarbures, leurs émissions de CO2, la sécurité et l'indépendance énergétique, ainsi que le rôle stratégique qui s'offre à l'électricité sont autant d'éléments qui plaident pour s'interdire toute fermeture de réacteur jugé sûr par l' ASN. Par Jean-Pierre Riou, président du bureau Energie du Collectif STA (Science Technologie Action).
Les efforts concernant l'efficacité énergétique peinent à compenser des besoins en progression constante. La consommation finale d'énergie de 2017 marque encore une augmentation de 0,9% sur celle de 2016. Depuis la « chasse au Gaspi » des années 1970 la consommation nationale d'électricité a triplé.
L'électricité ne représente cependant que 23 % de la consommation finale d'énergie en France. Mais elle offre une alternative sérieuse aux énergies fossiles, notamment aux hydrocarbures, dont l'épuisement annoncé et les besoins exponentiels des pays émergents évoquent l'imminence d'une crise géostratégique majeure. Le parc électrique français, déjà décarboné pour plus de 90 % de sa production, permettrait du même coup une réduction des émissions de CO2 (eq).
Par ailleurs, toutes les études concluent que l'économie digitale pèsera plus de 20 % de la consommation mondiale d'électricité en 2020. Selon France Stratégie, c'est même à une explosion de cette consommation, liée aux technologies disruptives que nous devons nous attendre à court terme.
Imaginer que la consommation d'électricité pourrait décroitre est peu crédible. Prendre d'ores et déjà cette décroissance pour un fait acquis dans le dimensionnement de notre parc électrique est irresponsable.
Quelle filière privilégier ?
Pour permettre la fermeture de la moindre centrale pilotable, c'est-à-dire dont la production peut être modulée à la hausse comme à la baisse, afin d'assurer l'indispensable adéquation de l'offre avec la demande, toute alternative doit pouvoir garantir une production minimale. Or le vent et le soleil se couchent. Et ce dernier disparait notamment bien avant les pics de consommation hivernaux de 19 heures, lesquels sont caractérisés par des grands froids, généralement anticycloniques. C'est-à-dire sans vent.
Qu'on le veuille ou non, c'est la raison qui a interdit au parc de production d'électricité allemand de réduire du moindre MW sa puissance installée pilotable depuis 15 ans, tandis que 100 GW intermittents, éoliens et photovoltaïques, s'y sont développés en tant que doublon.
Quelle puissance de production ?
Pour passer les pics de consommation, plusieurs mécanismes permettent d'optimiser le dimensionnement du parc de production :
- Le mécanisme d'effacement qui permet de rétribuer des clients afin qu'ils ne consomment pas lors des situations critiques
- Les smart grids, qui permettent d'inciter l'adéquation de la consommation avec la production disponible
- Les délestages ciblés, qui s'efforcent de minimiser les conséquences d'une rupture d'approvisionnement
- La baisse de tension sur le réseau. Ce dernier mécanisme n'étant pas sans risque : celui de faire disjoncter en cascade les transformateurs par un effet domino en cas d'imprévu, tel qu'une variation brutale de la production éolienne.
- Le stockage
- Les importations, qui dépendent des interconnexions et de la disponibilité de la production des pays voisins
Or, le gestionnaire du réseau européen Entsoe pointe, dans son rapport Mid term Adequacy Forecast (MAF), la fragilité de la France en cas de grand froid, particulièrement en cas d'absence de vent. Et rappelle la rigueur de certains hivers, mais surtout la durée de leurs périodes critiques, plus de 15 jours en 1987 et plus de 25 en 1963.
De telles durées anéantiraient les efforts de stockage, de telles situations ôteraient tout espoir d'importation.
En effet, l'Entsoe considère explicitement que ce sont au contraire nos voisins qui dépendront de la France en pareil cas, notamment la Belgique. Car la France, 1er exportateur mondial d'électricité quasiment chaque année depuis 20 ans, assure un rôle prépondérant dans l'équilibre du réseau européen grâce à la disponibilité de son parc de production nucléaire.
Le double malentendu
L'annonce d'une réduction de la part du nucléaire et de son remplacement par les énergies intermittentes que sont éolien et photovoltaïque repose sur un malentendu savamment entretenu : celui de fixer dans la loi (LTECV) des objectifs en termes de part d'électricité consommée.
Et cela, indépendamment de la puissance installée des filières qui les produisent, et quel que soit le moment où cette électricité sera produite. Ce qui est insensé.
Car le développement de l'intermittence implique l'augmentation des moyens pilotables dédiés au lissage de sa production. En France, le choix ne réside qu'entre de nouvelles centrales thermiques ou l'asservissement du parc nucléaire aux caprices de la production éolienne, lui imposant des régimes chaotiques et à coups de fonctionnement, ainsi que c'est déjà le cas lors des records éoliens. Ce qui accélère le vieillissement des composants des centrales, ainsi qu'une perte de rentabilité, pour un avantage sur lequel il est permis de s'interroger.
L'exception nucléaire française permet à la plupart de nos réacteurs de suivre au plus près les besoins de la consommation. C'est cette flexibilité unique au monde qui a permis à notre parc électrique de réduire à l'extrême le recours aux centrales thermiques. Et c'est grâce à ce parc nucléaire que la Commission européenne attribue à la France une indépendance énergétique bien supérieure à celle de ses voisins, et notamment à celle de l'Allemagne.
Les leçons du passé, ainsi qu'un regard objectif sur l'avenir, doivent mettre en lumière les dangers de l'actuelle fuite en avant liée à des engagements partisans. Leurs enseignements dénoncent l'irresponsabilité de toute fermeture volontaire de réacteur qui serait jugé sûre par l'autorité de sûreté nucléaire.
En tout état de cause, aucune puissance intermittente n'est encore susceptible de remplacer une centrale pilotable.
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