"L’écologie, c’est le respect du vivant, pas une doctrine avec des gourous"

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Dans son nouveau livre, "Il ne faut pas se tromper : Pour en finir avec les idées reçues sur l'énergie et l'industrie", Loïk Le Floch-Prigent plaide pour que les enjeux industriels liés à l'énergie soient remis dans les mains des ingénieurs, pas des économistes ou des responsables politiques.

Atlantico : Vous venez de publier "Il ne faut pas se tromper : Pour en finir avec les idées reçues sur l'énergie et l'industrie" (Elytel Éditions). Selon vous, la France souffrirait aujourd'hui selon vous d'aboulie en matière de politique industrielle et énergétique. Quel est la nature de ce mal qui nous touche ?
Loïk Le Floch-Prigent : L’aboulie c’est une inaptitude à prendre une décision puis à passer à l’acte. Nous avons passé cinq années à souffrir de cette maladie, et elle dure encore… Si nous désirons disposer d’une industrie solide, il faut le décider et le faire, et, en premier lieu, lors des orientations énergétiques du pays, s’assurer de la provenance nationale des matériels préconisés. On se sépare de notre industrie hydraulique, on achète du matériel chinois et l’on déclare vouloir promouvoir les énergies renouvelables… ainsi on déclare soutenir l’industrie française tout en la détruisant.
Vouloir quelque chose et son contraire, c’est le propre de l’aboulique.

Afin de comprendre quels sont les enjeux industriels liés à l'énergie pourquoi affirmez-vous qu'il vaut mieux être ingénieur qu'économiste ?
En matière d’énergie les économistes se trompent régulièrement car ils ne veulent pas s’astreindre à comprendre les réalités de la production. Ainsi on n’arrête pas de dire que les coûts des énergies « nouvelles » baissent, ce qui est vrai, mais on veut ignorer qu’elles ne fonctionnent que de façon intermittente tandis que le consommateur, lui, en a besoin quel que soit le temps ! Ils affichent ensuite des espoirs sur le stockage électrique qui ne sont que des hypothèses et en déduisent la possibilité de satisfaire la demande dans de bonnes conditions sans faire appel aux énergies fossiles. C’est ignorer, entre autres, les lois de la thermodynamique, les lois de l’électricité, les réalités de la production et de la maintenance, tout ce que les ingénieurs et les techniciens vivent tous les jours. Heureusement, la numérisation va accélérer les possibilités de simulation du fonctionnement électrique et les économistes vont devoir assimiler comment fonctionne l’électricité et ce que recouvre leur concept de « marché de l’électricité » européen.

"Vouloir absolument considérer le changement climatique comme la priorité pour tous les habitants de la planète est aberrant", fustigeant une "foi" irrationnelle dans la doxa écologiste. L'énergie renouvelable est irréaliste selon vous, le nucléaire est indispensable. Pourtant le fait qu'un pays très industrialisé comme la Chine se sente obligé de changer radicalement de cap ou une grande puissance comme l'Allemagne ou le Japon tourne le dos au nucléaire ne vous semble pas au contraire un indice marquant d'une vraie nécessité d'adaptation de nos économies à une forme plus écologique ?
Ma position est plus nuancée, heureusement ! Je veux revenir aux sources de l’écologie, « penser globalement et agir localement ! » Le fait d’avoir un objectif mondial n’implique pas que tous les pays doivent coller à un fonctionnement unique qui serait le « bien » opposé au « mal ». Chaque pays doit réaliser son compromis lui permettant de se développer tout en minimisant la portée « carbone » de ses décisions. Avec le nucléaire en France nous sommes les bons élèves du point de vue carbone, mais nous estimons que nous polluons trop nos villes, tandis que d’autres redoutent les pièges actuels et futurs du nucléaire… On voit que la situation est compliquée chez nous, elle l’est dans tous les pays, mais différemment. Cette diversité de problèmes et donc de solutions il faut l’accepter. L’Afrique a une nécessité vitale de s’électrifier, elle peut intégrer la nécessité bas carbone, elle ne peut pas en faire la priorité. C’est une évidence que les idéologues ont du mal à accepter. L’Allemagne a condamné le nucléaire et a favorisé le charbon et la lignite, donc le carbone, le Japon a souffert du nucléaire, mais a encore plus peur de la dépendance énergétique, donc revient au nucléaire, la Chine veut diminuer la pollution des villes, elle pousse toutes les solutions autres que le charbon, en particulier le nucléaire… tout en maintenant la production électrique à base de charbon hors des villes, mais en faisant des progrès techniques qui en limitent les émissions. Chacun fait ses choix, il n’y a pas de gouvernement de la planète, et dans certains pays il n’y a pas de gouvernement unique. Tous les pays ne fonctionnent pas comme le notre.
L’écologie c’est le respect du vivant, ce n’est pas une doctrine avec des gourous.

Vous affirmez que la réindustrialisation, indispensable, ne se fera pas sans s'appuyer sur les territoires. Que voulez-vous dire ? Selon vous, le déficit industriel de la France est en premier lieu imputable à une centralisation excessive ?
J’observe, comme d’autres, une désindustrialisation du pays qui conduit à une souffrance économique et sociale que traduisent bien les chiffres du chômage. Parmi les causes il est incontestable que la distance prise dans notre pays entre les "élites" parisiennes et les territoires est d’importance majeure. L’industrie s’est éloignée de Paris et Paris s’est éloigné de l’industrie ! On retrouve la volonté de produire, d’entreprendre, de bâtir, en dehors des cercles de la capitale et c’est ainsi que l’on peut espérer un renouveau de l’industrie française, la création des « places financières régionales » à l’initiative des professionnels montre bien cette évolution tandis que Paris ne s’intéresse qu’à la précaution, à la mesure du risque, et cherche à dissuader les épargnants de remettre leur argent dans le secteur productif national.

L’humus du renouveau industriel se trouve dans les territoires.

"Il ne faut pas se tromper" titrez-vous. Cependant, il semble que très nombreux sont ceux qui aujourd'hui poussent dans le sens inverse du votre. Que signifierait la victoire de vos adversaires ?
Je ne dis pas que j’ai raison, je dis qu’il faut réfléchir avant de prendre des décisions dont on traîne les conséquences pendant cinquante ans et plus. L’idéologie, la mode, les fantasmes sont de mauvais conseil, de même l’ignorance des réalités scientifiques, techniques et industrielles nous conduisent forcément à l’échec. Notre situation est très préoccupante, je donne souvent l’exemple de l’hydraulique française, c’est une énergie renouvelable, nous en étions les promoteurs mondiaux, nous étions l’excellence en termes de recherches et d’industrie. Nous l’avons cédé dans des conditions rocambolesques aux Américains qui se sont empressés de diminuer les marchés et les effectifs. Mais nous poursuivons le discours quotidien sur les énergies renouvelables, aucune cohérence, aucun examen responsable, de l’incantation de la posture et finalement du malheur à la fois pour notre pays et ses techniciens. Si l’on ne revient pas aux réalités l’industrie française va continuer à décliner malgré les efforts d’industriels talentueux, déterminés… et souvent décriés. Il faut retrouver notre fierté d’avoir une industrie florissante et la soutenir sans œillères, sans idéologie, sans anathèmes, je ne me résigne pas à l’idée que les idées stupides puissent gagner.

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