21/11/2018
Pas si vite
Le gouvernement devrait annoncer fin novembre la fermeture de zéro à six réacteurs nucléaires entre 2022 et 2028. Un coût à la fois financier et écologique.
Atlantico : L'hypothèse de la fermeture des réacteurs aura un coût à la fois financier et écologique. Comment fait-on pour produire de l'énergie après ça ? Par quoi remplacer ces centrales, à quel coût financier et avec quel impact écologique ?
Henri Prévot : Le coût total s’évalue en comparant ce que seront l’ensemble des dépenses de production, de stockage et de distribution dans l’hypothèse où ils sont arrêtés à ce qu’elles seraient si on ne les arrêtait pas. Or ce calcul, aucun organisme officiel ne nous en donne le résultat.
Si l’on ne veut pas augmenter les émissions de CO2, on remplacera les réacteurs par une production éolienne et solaire. Comme cette production est très fluctuante, pour être sûr de pouvoir répondre à la demande à chaque instant il faut non seulement un excédent de capacité de production mais aussi une capacité de production à partir de gaz pour les moments sans vent ni soleil. A l’aide d’une simulation, nous avons calculé cela en reprenant les coûts de production (très optimistes) proposés par RTE.
Si la consommation d’électricité n’augmente pas, avec l’arrêt d’ici 2035 de 9 ou 12 réacteurs en plus de ceux de Fessenheim, il faudra par exemple 35 gigawatts d’éoliennes et autant de photovoltaïque. Les dépenses annuelles seraient alors supérieures de 5 ou 6 milliards d’euros par an à ce qu’elles seraient sans arrêter aucun des réacteurs existants aussi longtemps qu’ils pourront fonctionner. Si la consommation d’électricité augmente la différence de dépenses serait plus importante encore.
Alors, les émissions de CO2 n’auront pas augmenté mais 14 000 éoliennes encombreront et gâcheront le paysage et perturberont le voisinage, et les panneaux photovoltaïque, s’ils sont sur le sol occuperont une surface de 1000 kilomètres carré. La production des matériaux pour faire les cellules photovoltaïques ou les aimants permanents des éoliennes est très polluante (tant pis ! c’est en Chine) et alimente les conflits sur les zones de production (tant pis ! c’est en Afrique centrale). Sans oublier la consommation de cuivre et de sable pour produire le béton dont les éoliennes sont grandes consommatrices.
Ces vingt dernières années, les ingénieurs français se sont détournés du nucléaire, avec eux, les compétences pour démonter et remonter des centrales se sont perdues avec le temps. Quelle est la réalité aujourd'hui ? Peut-on réellement fermer nous-mêmes nos centrales nucléaires ?
Contrairement aux idées reçues, on dispose des savoir-faire et technologies nécessaires pour démanteler : ce n’est pas si difficile que cela techniquement. On sait décontaminer, découper (sciage, jet d’eau à haute pression, torche à plasma), on manipuler à distance. Le démantèlement du réacteur de quatrième génération Superphénix, arrêté pour des motifs qui ne sont pas techniques, se déroule normalement. Celui du réacteur de Chooz, dont la technique est la même que celle des réacteurs en fonctionnement (réacteurs à eau sous pression), qui est très avancé n’a pas soulevé de difficultés. Certes, à Brennilis, le démantèlement prend du retard, mais c’est du fait de multiples recours administratifs. Le seul motif technique pouvant retarder un démantèlement est la disponibilité de zones de stockage des déchets faiblement contaminés. A cet égard, la réglementation française, qui interdit le recyclage des matériaux dont la radioactivité est à peine supérieure à la radioactivité naturelle est excessivement restrictive.
Quant aux nouveaux réacteurs EPR, un premier réacteur, en Chine, fonctionne aujourd’hui à pleine puissance, ce qui démontre que le concept est opérationnel. Devra-t-on désormais faire appel à la main d’œuvre chinoise pour en construire en France ? C’est ce qui nous menace – à moins que ce soient des ingénieurs et du personnel russes – si l’on retarde la construction d’un second EPR. Le chantier de Flamanville démontre les dégâts causés par une césure dune vingtaine d’années. En même temps, il a permis de retrouver le savoir-faire et de remettre sur pied une organisation industrielle.
Cette annonce du gouvernement ne serait-elle pas de la communication pour rassurer les anti-nucléaires ? Peut-on parler ici d'une décision de l'ordre de la communication politique plus qu'autre chose ?
Votre question invite à s’en poser d’abord une autre : pourquoi veut-on réduire la part du nucléaire à 50 % de la consommation française ? On se rappelle l’origine historique de cette affaire : un accord électoral avant l’élection présidentielle de 2012. Depuis, c’est devenu un mantra répété sans le début d’une justification. Si le risque nucléaire est absolument inacceptable, ce « 50% » est un objectif dérisoire. Le vrai but est de n’en point avoir du tout. Ici, je ne dirais pas qu’il est absolument impossible de produire de l’électricité sans nucléaire ni émissions de CO2. Mais il faudrait pouvoir utiliser l’électricité photovoltaïque produite l’été pour produire du méthane pour produire de l’électricité en hiver. En laboratoire, le procédé existe. Mais le rendement industriel ne peut pas être supérieur à 25 %. Il faudrait par exemple 150 gigawatts éoliennes et autant de photovoltaïque. N’étant pas acceptées sur terre, les éoliennes seraient en mer. Quelle que soit la baisse du coût du photovoltaïque, les dépenses totales seraient trois fois supérieures aux dépenses d’un système fait comme aujourd’hui de nucléaire, d’hydraulique et d’un peu de gaz.
On comprendrait donc que le pouvoir politique prenne une décision qui, avant de s’engager inexorablement vers ce fameux « 50% nucléaire », donne le temps de convaincre la population que la seule justification, aller vers zéro nucléaire, est inaccessible. Alors, on pourra voir tous les avantages du nucléaire parmi lesquels, surtout, l’autonomie énergétique et la compétitivité de notre économie.
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