Professeur des universités
23 novembre 2018 / Usbek
C’est en France devenu un rite : pas un discours, pas un débat, pas un article, sans une référence à la « transition écologique ». Ce nouvel impératif catégorique est une auberge espagnole (ce qui déplairait à Kant). Il est invoqué pour justifier tout et rien : de la multiplication des loups (qui est bien un problème écologique) à la taxe carbone (qui n’en est pas un). En pratique, la transition écologique se réduit largement à une transition énergétique : aller, et aller immédiatement, vers un monde sans rejets de CO2. La diminution de ces rejets est le rôti, le reste (les mégots de cigarettes, le recyclage) est la sauce. Un tel projet est une chimère, pour au moins trois raisons.
Il est d’abord totalement inutile, surtout pour la France. La justification de cette transition est que le CO2
anthropique engendre le réchauffement climatique qui engendrera des
catastrophes terribles. Cette conviction climato-crédule est fragile,
mais on ne la discutera pas ici. Elle est en tout cas globale. Ce sont
les émissions de tous les pays qui comptent. Celles de la France
représentent 1% des rejets mondiaux, 29 fois moins que celles de la
Chine. L’impact d’une transition énergétique uniquement française sur le
climat sera ou serait parfaitement négligeable. Raison de plus,
dira-t-on, pour donner l’exemple. Mais l’exemple, nous le donnons déjà.
La France est pratiquement le pays (après le Mali ou le Cambodge) où les
rejets par euro de PIB sont les plus bas du monde : 2 fois moindres
qu’en Allemagne, 3 fois moindres que pour l’ensemble du globe. Au lieu
de le clamer, nos bien-pensants préfèrent le cacher. Ce bel exemple
n’est pourtant guère suivi. Qui peut sérieusement croire qu’il le serait
davantage si nous étions encore plus exemplaires ? Plus encore que le
socialisme dans un seul pays (prônée par le génial Staline), la
transition dans un seul pays est une impasse.
Le projet de transition est ensuite irréalisable.
Les combustibles fossiles à l’origine des rejets coûtent cher (ce sont,
après le tabac, les biens les plus lourdement taxés en France, bien
plus que l’alcool ou le parfum): ménages et entreprises cherchent, et
réussissent, à les économiser. En vingt ans, la France a diminué ses
rejets de 12%. Ces gains de productivité en CO2 vont
continuer, espérons-le. Mais de là à viser des réductions de 75% ou
davantage, il y a la différence entre la réalité et le rêve. Les
propositions faites au nom de la « transition écologique » sont
généralement irréalistes, absurdes voire pathétiques. La plus
importante est le remplacement de l’électricité nucléaire (qui ne
rejette pas de CO2) par de l’électricité éolienne ou photovoltaïque (qui n’en rejette pas non plus) ; cette mesure-phare ne diminuera donc en rien les rejets de CO2 de
la France. En matière de transport, on propose aux Français qui ont
besoin de leur voiture pour aller travailler à 40 km de leur habitation
d’y aller à pied, en vélo, en co-voiturage, ou en trains qui n’existent
pas (on a oublié le tandem). L’Accord de Paris allait, promis, juré,
entraîner des réductions drastiques. On allait voir. On a vu. Depuis
2015 les rejets de CO2 ont augmenté à peu près partout : en
France, en Allemagne, en Chine, en Inde, dans l’ensemble du globe. Sauf
aux les Etats-Unis où ils ont décliné (pas à cause de Trump, mais à
cause des progrès extraordinaires du gaz de schiste).
La transition écologique, enfin, est coûteuse, et en plus régressive.
Les chimères ne sont pas seulement les êtres évanescents dont rêvait
Gérard de Nerval, ce sont des monstres à tête de lion qui griffent et
qui mordent nos économies, et s’attaquent en particulier aux plus
faibles. Presque toutes les mesures prises au nom de cette transition
consistent à remplacer des solutions bon marché par des solutions
onéreuses, ce qui est la définition du gaspillage. Le plus évident est
la fermeture de centrales nucléaires en état de marche, et leur
remplacement par la construction d’éoliennes. En Europe, plus le taux de
pénétration de l’éolien et du solaire est grand, plus le prix de vente
de l’électricité est élevé : en Allemagne il est deux fois plus élevé
qu’en France. Le projet de notre gouvernement conduit inéluctablement au
doublement du prix de l’électricité. Au moment où les pionniers de ces
folies, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, en mesurent les conséquences,
et mettent le pied sur le frein (ils cessent d’investir dans l’éolien et
le solaire), la France, toujours en retard d’une guerre, appuie sur la
pédale de l’accélérateur en criant « transition ! transition ! ». On
pourrait dire la même chose à propos de l’augmentation des impôts sur
les carburants.
Le pire est que ces
surcoûts pénalisent plus durement les pauvres que sur riches. La
transition écologique qui se dit solidaire est en réalité régressive.
Les biens qu’elle vise (l’électricité, les carburants, le logement)
pèsent bien plus lourd dans le budget des pauvres que dans celui des
riches, dans le budget des habitants des zones périphériques ou rurales
que dans celui des métropoles. Augmenter le prix de ces biens c’est
attaquer le niveau de vie de ces ménages-là. Les élites parisiennes ne
veulent pas le voir, mais les gilets jaunes le sentent bien, et le
crient.
Les écologistes les plus
conséquents en tirent fort logiquement la conclusion que transition
écologique rime avec décroissance : moins de gens, moins de revenus,
moins de mobilité, moins d’industrie, moins d’agriculture, moins
d’échanges, moins de confort, avec moins de démocratie pour faire
accepter tout cela. Le slogan de notre président, « Make Our Planet Great Again »,
implique que tout était plus formidable hier. Il indique la destination
de notre transition écologique. L’avenir du futur, c’est notre passé.
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