Président de l' ONG "Global Electrification" qui "souhaite favoriser l'accès à l'électricité dans le monde par une information objective sur l'alimentation en électricité par pays ou grandes régions."
Alors que vient de sortir « Nucléaire : une catastrophe française », le livre de Erwan Benezet, journaliste au Parisien-Aujourd’hui en France, comment ne pas rebondir sur le fond clairement orienté pour faire naitre un sentiment de peur auprès des Français ? Le tout, dans un parfait timing marketing juste avant les annonces de la révision de la PPE. Lionel Taccoen s’est prêté à une analyse complète de l’ouvrage et nous donne son avis sur la question.
L’ouvrage comprend, schématiquement deux parties :
Le nucléaire est dangereux
Le titre du premier chapitre « L’enfer est ici sur terre », donne le ton. On y rappelle les accidents passés (dont Tchernobyl et Fukushima) et il est affirmé que la France pourrait subir de pareilles tragédies, voire pire. Le raisonnement s’appuie sur des données fournies principalement par des ONG et des experts présentés comme indépendants.
Une lacune regrettable : l’humanité s’est dotée, sous l’égide de l’ONU, d’un groupe d’experts, nommé GIEC, afin d’éclairer les gouvernements et les citoyens sur les évolutions du climat. L’humanité s’est dotée également, toujours sous l’égide de l’ONU, d’un autre groupe d’experts destiné à étudier les risques liés au nucléaire. Il est connu généralement par son sigle anglais UNSCEAR. Son programme de travail est défini par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Ses travaux sont présentés à cette Assemblée. Ceux concernant Tchernobyl et Fukushima ont été publiés en 2008 et 2013. Dans les deux cas, l’Assemblée Générale des Nations Unies a félicité les membres de l’ UNSCEAR pour leur travail. Aucune critique ne s’est manifestée parmi les délégations du monde entier, y compris celles de pays ayant banni le nucléaire comme l’Autriche et le Danemark… Les conclusions de l’ UNSCEAR sont généralement beaucoup plus mesurées que celles des travaux cités dans l’ouvrage commenté ici.
Le Rapport de l’ UNSCEAR concernant Fukushima a été présenté le 11 décembre 2013 à l’Assemblée Générale des Nations Unies, qui dans sa Résolution A/RES/68/73 félicite les experts pour leur travail dont voici les conclusions : “Aucun décès ni maladie grave dû à la radioactivité n’a été observé parmi les travailleurs et le public… aucune conséquence perceptible due à l’effet des radiations [liées à l’accident] n’est attendue pour le public exposé et ses descendants”. “De manière générale, les expositions [dues à l’accident] des écosystèmes terrestres et aquatiques (eau douce et eau de mer) ont été trop faibles pour que l’on observe des effets aigus. Les éventuels effets seront transitoires par nature, du fait de leur faible durée”. L’Assemblée Générale des Nations Unies a demandé à l’ UNSCEAR de compléter son Rapport au fur et à mesure de l’apparition de données nouvelles. Les conclusions ci-dessus n’ont pas été modifiées, et en particulier toute augmentation des cancers de la thyroïde chez les enfants a été démentie. Le gouvernement japonais a reconnu un lien entre la leucémie d’un travailleur et sa présence lors de l’accident mais comme l’indique un Professeur de l’Université de Nagasaki au quotidien Le Monde (21/10/2015) : « Cette reconnaissance ne constitue pas une preuve scientifique ».
Les Rapports de l’ UNSCEAR décrivent des situations incompatibles avec « L’enfer sur terre » présenté dans l’ouvrage. Ils ont été contestés par un certain nombre d’ONG et d’experts. L’ UNSCEAR leur a répondu en détail, sans modifier ses conclusions. Pour Fukushima le débat en est resté là, les ONG et les experts contestataires n’ayant plus réagi aux explications de l’ UNSCEAR. L’Assemblée Générale des Nations Unies, chaque année, examine un Rapport de l’ UNSCEAR faisant le point sur la situation à Fukushima. Elle réaffirme régulièrement, dans sa Résolution, sa confiance dans l’ UNSCEAR et demande que les conclusions de ses Rapports soient répandues dans le public.
Erwan Benezet a choisi les études conduisant aux conclusions les plus effrayantes concernant la probabilité et les conséquences des accidents nucléaires passés et futurs. Il a ignoré les résultats de l’ UNSCEAR, Comité des Nations Unies, dont il ne signale même pas l’existence alors qu’il a un statut et une composition analogues au GIEC pour le climat. Cette lacune est regrettable.
Le nucléaire n’a aucun intérêt économiqueErwan Benezet n’a pas une grande opinion d’EDF ni d’ Orano (anciennement Areva). Quelques titres de paragraphes « Y a-t-il un pilote dans la centrale ? », « Les falsificateurs » , « Rest in peace, Areva »,« le spectre d’une faillite »… Les jugements uniquement négatifs doivent reposer sur un argumentaire sans faille et basé sur des données reconnues comme fiables. Sinon, la conclusion est que l’auteur est partial et que ses écrits n’ont que peu d’intérêt. Et c’est bien ce qui apparaît par ci par là. Nous traiterons en détail un seul exemple pour ne pas lasser le lecteur :
Page 205, il s’agit de montrer que, finalement, les prix français de l’électricité, que l’on prétend bas du fait du nucléaire, ne sont pas très différents des prix allemands. « La différence est globalement aujourd’hui de 20%». Or, ces prix sont relevés par Eurostat, organisme que l’auteur ne semble pas connaître. Pour un ménage moyen, et au premier semestre 2018, l’écart constaté entre les prix du kWh pour les ménages moyens allemands et français n’est pas de 20%, mais de 68% (Tableau Eurostat nrg_pc_204). Pour une industrie courante, les écarts en faveur de la France sont de 67% (Tableau Eurostat nrg_pc_205). L’auteur ajoute que les factures allemandes ne sont pas, de toute façon, supérieures aux françaises car « économies d’énergie, isolation des logements et efficacité énergétique ont un véritable sens Outre Rhin ». Ainsi les Allemands consomment moins d’énergie pour le même résultat. Hélas, Eurostat (encore lui !), dans son tableau t2020_rd1310, indique que les performances de l’Allemagne et de la France pour l’efficacité énergétique sont pratiquement identiques.
Page après page, nous notons des chiffres et des données qui vont dans le sens souhaité : le nucléaire est très cher et son avenir est bouché.
Page 216, l’auteur met côte à côte des « puissances de crête » solaires et des puissances nominales nucléaires, sans se rendre compte qu’elles ne sont pas, et de loin, comparables. Mais les chiffres qui en découlent montre une avancée du solaire qui impressionne…Ce qui doit être le but de l’exposé.
Page 223, il oublie d’indiquer que l’électricité vendue par les concurrents d’EDF provient, aux deux tiers, du parc nucléaire (qui sert au moins à faire exister les fournisseurs alternatifs…). La transition énergétique va créer huit cent mille emplois, qui va les payer ? On lit que le stockage de l’électricité fonctionne…en Australie du Sud. Mais le 10 octobre dernier, dix associations nationales d’électricité, dont l’Union Française de l’Électricité (qui réunit EDF, le Syndicat des Energies Renouvelables et d’autres), dans un communiqué, ont fait savoir qu’il leur était impossible financièrement de construire des installations de stockage sans subventions publiques. Certes, l’auteur prévient que les prix de l’électricité vont continuer à augmenter …Comme l’écrit la Cour des Comptes Fédérale allemande en 2017 : «[le Gouvernement] n’a aucune idée du coût actuel et futur de la transition énergétique ». La transition énergétique prônée dans l’ouvrage commenté conduit aux mêmes incertitudes financières potentiellement douloureuses.
L’ouvrage d’Erwan Benezet est une oeuvre de militants pour les militants. Il contribuera à fortifier leurs convictions. Qu’il contribue à faire avancer un véritable débat sur l’énergie et le nucléaire est plus douteux.
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