La transition, vite !

Jean-Marc Jancovici et Matthieu Auzanneau
28/11/2018


 

L'ingénieur Jean-Marc Jancovici alerte depuis des années sur les conséquences du réchauffement climatique. Au sein du Shift Project, un think tank qui oeuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone, il s'attache à éclairer le débat sur la transition énergétique. Nommé le 26 novembre au sein du nouveau Haut conseil pour le climat voulu par Emmanuel Macron, il avait quelques jours auparavant co-signée cette tribune, initialement publiée dans le journal Sud-Ouest. Avec Matthieu Auzanneau, directeur du Shift Project, il s'attache, en plein mouvement des « gilets jaunes » à démontrer qu'une transition énergétique est encore possible si des mesures fortes sont prises rapidement par les pouvoirs publics.

Près de 300 000 personnes sont dans la rue, mais la sortie du pétrole ne s’impose toujours pas comme une nécessité politique concrète. Avec ou sans taxe carbone, l’essence et le gazole seront de plus en plus difficiles à acheter à l’avenir, sans parler du coût des dégâts futurs du changement climatique, et nous persistons à « regarder ailleurs ».


« Tous les outils pratiques pour réussir la transition énergétique sont là »
Tous les outils pratiques pour réussir la transition énergétique sont pourtant là, à portée de main. Les plus efficaces ne coûtent que du courage politique. Mieux, une transition intelligente rapportera de l’argent et des emplois aux Français. D’abord en réduisant leurs dépenses de mobilité et de chauffage. Ensuite, en soulageant la balance commerciale française (puisque nous importons tout notre pétrole), ce qui sera directement créateur d’emplois.
Des investissements publics ciblés dans le bus, le train, le vélo, le covoiturage local, peuvent faire baisser de plusieurs centaines d’euros par an les budgets de transport, en particulier pour ceux qui vivent loin des centre-ville, et subissent de plein fouet la hausse des prix à la pompe. Idem pour l’aide publique aux travaux d’efficacité énergétique, dont les premiers bénéficiaires seront ceux qui habitent des « passoires énergétiques ».
Depuis trop d’années, ces instruments ne sont utilisés qu’avec timidité, de façon presque symbolique, comme excuses ou cache-misère d’une politique de statu quo dont les plus modestes payent l’inconséquence.
Sans un plan d’action dont la colonne vertébrale est la baisse continue de notre consommation de pétrole, de gaz et de charbon, la transition écologique est vouée à l’échec. Cet échec nous conduit tout droit au chaos climatique, à la raréfaction des ressources, et à toutes les misères humaines qui viendront avec. Les « gilets jaunes » en portent l’avertissement : ils sont nos lanceurs d’alerte.

« Pourquoi "les gilets jaunes" ne jugeraient-il pas que l’écologie est un prétexte pour leur faire les poches ? »
Les taxes sur les carburants devraient rapporter l’an prochain 37 milliards d’euros, contre 33 cette année, à cause principalement de l’augmentation de la taxe carbone. Quelle part de ces recettes est destinée à encourager la baisse de la consommation d’énergie ? Moins de 2 milliards d’euros. Pourquoi les « gilets jaunes » ne jugeraient-il pas que l’écologie est un prétexte pour leur faire les poches ?


Image à la Une : manifestation le 24 novembre à Paris. CC NightFlightToVenus / Flickr.

Les deux-tiers des émissions de CO2 en France viennent du pétrole : impossible de réduire massivement ces émissions sans toucher à la voiture individuelle. Sinon, autant faire comme Trump, et déchirer tout de suite l’accord sur le climat signé à Paris en 2015 ; autant continuer à enfermer dans l’impasse ceux qui n’ont pas d’autre choix aujourd’hui que de faire le plein de gazole pour aller travailler. Et après nous, « le Déluge » ?

« Se contenter d’augmenter les taxe sans planifier une alternative, c’est faire le lit du populisme »
Une grande nation doit maintenant avoir l’audace et la lucidité de montrer la voie. Se contenter d’augmenter les taxes sur les combustibles fossiles sans planifier une alternative cohérente, c’est évidemment faire le lit du populisme. Où est cette cohérence aujourd’hui ? Plus de 5 milliards de recettes des taxes sur les carburants – de loin le premier poste de dépense de la transition énergétique – vont financer éoliennes et panneaux photovoltaïques, qui n’aident en rien à sortir des énergies fossiles. En effet, l’électricité française est déjà largement décarbonée, grâce à nos centrales nucléaires et à nos barrages. Pourquoi ne pas utiliser cet argent pour financer la fin des chaudières au fioul, et aider massivement les plus modestes à avoir un logement bien isolé du froid ?
Pourquoi ne pas aider les « gilets jaunes », et au fond tous les automobilistes, à acheter des véhicules vraiment plus économes en carburant, en imposant des malus bien plus substantiels sur les plus grosses cylindrées ? Pourquoi ne pas annoncer qu’en 2022, au terme de ce mandat présidentiel, la France n’autorisera plus la vente de voitures neuves consommant plus de 5 litres aux cent ? Et qu’est-ce qui empêche d’ici là d’interdire la publicité pour les véhicules les plus voraces ? Qui dira que le changement climatique et l’air pollué de nos villes sont moins dangereux que le tabac ou l’alcool ?…
La sobriété de l’habitat et des transports, c’est de l’argent économisé, et c’est un exemple offert au monde pour nous mettre en marche vers une évolution inexorable : celle du monde post-pétrole. La France est le pays des lumières, il est temps de changer l’ampoule.

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