La voiture électrique : cheval de Troie pour l’industrie chinoise ?

Jean-Jacques Nieuvaert
Président de la Société d'études et de prospective énergétique
Le 07/11/2018

Commentaire : tous les pros VE, les pros éolien, les pros photovoltaïques, etc. au sein du monde politique sont les meilleurs amis de la Chine. Jusqu'où et jusqu'à quand, va t-on les laisser affaiblir la France?
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La mobilité et le climat

En France les émissions de GES du transport représentent 29,5 % du total national contre 22 % en 1990. Comme le parc de véhicule n’utilise quasiment que des hydrocarbures, et plus particulièrement du diesel, le transport routier est donc responsable de 95% de ces émissions, dont 56 % pour les voitures particulières à elles seules (sans oublier les émissions de PM (2.5 et 10) et de NO2). Au niveau européen, si rien ne change, en 2050 les émissions de GES des transports seront supérieures de 15 % à leur niveau de 1990. Enfin au niveau mondial la consommation du transport routier s’élève à près de 2 100 Mtep, à raison de 92 % pour l’essence et le diesel contre seulement 0,5 % pour l’électricité.

La "chute" du véhicule thermique

Ces chiffres expliquent que de nombreux Etats se sont sentis obligés, à la suite des accords de Paris 2015 sur le climat, d’afficher des intentions ambitieuses dans un domaine jusque-là délaissé. Mais l’action sur le parc de véhicule n’a pas concerné que les Etats. A l’imitation de la politique mise en place par la ville de Tokyo à la fin des années 90, de nombreuses grandes villes cherchent à modifier le parc de véhicules qu’elles accueillent chaque jour et Paris a pris la tête de la croisade avec le souhait d’interdire le diesel en 2024 et l’essence en 2030, croisade relayée par Londres, Los Angeles et plus récemment par certaines villes allemandes allant jusqu’à agir en justice contre l’Etat fédéral.
Mais en fait, c’est le Gouvernement chinois qui a vraiment bousculé le statu quo, en imposant à l’ensemble des constructeurs opérant en Chine un ratio de véhicules propres (NEV for New Energies Vehicles) augmentant d’année en année (10 % en 2019, 12 % en 2020…). Compte tenu de la taille du marché chinois (30 millions de véhicules annuel), la politique chinoise est donc devenue le driver fondamental du marché de la mobilité[1] [2].

Le changement de cap des constructeurs

Les décisions politiques ont bien évidement entrainé des réactions importantes chez les constructeurs, bien au-delà des initiatives de l’avant-gardiste Tesla.
Volvo (propriété du chinois Geely) a été le premier à annoncer qu’à partir de 2019, il ne lancerait plus que des modèles hybrid-R ou 100 % électriques. Mais il a été suivi rapidement par Daimler, BMW, General Motors, l’Alliance Renault-Nissan- Mitsubishi, puis Jaguar, Land Rover, VW et enfin PSA. Dans le même temps les constructeurs ont également dépassé la seule logique du véhicule. Par exemple l’objectif de Renault Energy Services et de Nissan, est d’intégrer sa future gamme de véhicules dans un ensemble de solutions allant de la charge intelligente (V2G) à l’effacement/stockage et jusqu’à la réutilisation des batteries dites de « seconde vie » pour du stockage électrique stationnaire (Advanced Battery Storage).

Les nouveaux enjeux stratégiques
Pour l’Europe ce basculement aussi brutal qu’inattendu se traduit par la perte de l’avantage écrasant qu’elle possédait dans le domaine des moteurs thermiques face aux USA et surtout à la Chine, alors que celle-ci maitrise parfaitement la mobilité électrique. De plus beaucoup d’enjeux inhérents à ce basculement sont encore loin d’être maîtrisés.

Les batteries
Selon les spécialistes européens, le marché des batteries, mais aussi ceux des capteurs et des microprocesseurs sont en effet totalement dominés par la Chine[3], le Japon et la Corée du Sud. Les constructeurs européens paient actuellement aux fournisseurs chinois entre 4 et 7 000 € pour les batteries équipant leurs véhicules. La politique chinoise ne se résume donc pas à un simple enjeu climatique. C’est ce qui explique d’ailleurs que l’industrie automobile allemande peu convaincue par l’initiative européenne d’un « Airbus des batteries » est en train de concevoir son propre « plan batteries » et de se préparer à investir 40 Mds€ dans les 4 ans à venir dans la mobilité électrique.

Les matières premières
Le développement des VE implique une sécurisation de l’approvisionnement en matières premières stratégiques. En effet, sur la base des technologies actuelles, un parc automobile mondial à 50 % électrique, exigerait 1 500 % de la production actuelle de lithium ou 1 000 % de celle du cobalt[4], sachant que la Chine a déjà pris beaucoup d’options sur ces métaux stratégiques.

Le problème du réseau de recharge
Le développement du réseau de recharge, même dans l’hypothèse d’un progrès significatif du rayon d’action des batteries, constitue le préalable incontournable au développement massif d’un parc de VE, particulièrement individuels. L’estimation pour un parc français de plus de 4 millions de VE et de VHR en 2030, serait de 7 millions de points de recharge[5] pour un investissement de 7 Mds€. Le VE peut aussi se trouver en concurrence avec les véhicules au GNL ou utilisant l’hydrogène, mais le développement de plusieurs filières concurrentes, serait susceptible de générer un gaspillage énorme en termes d’infrastructure et d’éparpillement technologique.

La rationalité d'usage

Le gain environnemental du VE est très inégal en fonction des milieux et de la nécessité de rentabiliser le coût environnemental de la production de la batterie. L’usage en zone urbaine constitue son domaine majeur de pertinence économique mais pour un usage mixte, le véhicule thermique demeure plus avantageux. Enfin les technologies hybrides doivent être considérées comme des solutions transitoires.

L'approche sociale
Il faut intégrer l’aspect vulnérabilité de la mobilité car on se focalise actuellement trop sur le volet logement. Il faut en particulier tenir compte du fait que le développement du VE se fera sans réel marché de l’occasion initialement d’où un problème de coût d’acquisition pour les faibles revenus. Il faut enfin tenir compte de l’impact sur l’emploi et sur la formation des techniciens.
En conclusion, même si nous arrivons à maitriser l’ensemble de ces enjeux et même si BNEF a prédit qu’en 2040, 54% des ventes mondiales de véhicules seraient électriques (soit un parc de 520 millions de VE) l’action climatique ne sera pas garantie pour autant. En effet le dernier scénario de l’OPEP peut tempérer l’optimisme. D’après celui-ci, le nombre de véhicules en circulation dans le monde devrait passer de 1,1 milliards à 2,4 milliards en 2040. Même si nous retenons le scénario « électrique » le plus favorable, soit 720 millions de VE, la demande de pétrole resterait supérieure de 9 % à la demande actuelle, ce qui conférera à l’efficacité des futurs moteurs thermiques une importance essentielle.

Pour résumer l’incertitude à laquelle le développement soudain du VE nous confronte, il nous faut citer le Président de PSA lors du dernier Mondial de l’automobile à Frankfurt :
« Qui aujourd’hui est en train de se soucier de traiter de la question des mobilités propres dans leur globalité ? Quelles solutions pour la fabrication des batteries, le recyclage des batteries, l’exploitation mais également l’approvisionnement en terres rares, la nature de la production d’électricité… Je ne voudrais pas que dans 30 ans on ait découvert les uns et les autres quelque chose qui n’est pas aussi beau que cela en a l’air aujourd’hui… Toute cette agitation, tout ce chaos, peut se retourner contre nous parce que nous aurons pris de mauvaises décisions dans des contextes émotionnels ».

[1] Rappelons que le marché annuel chinois s’élève actuellement à près de 30 millions de véhicules, dont 25 de véhicules individuels, les NEV ne représentant pour le moment que 1,8 % du total.
[2] En 2030 7 millions de NEV par an pourraient être immatriculés en Chine soit trois fois et demie le marché français automobile total.
[3] La Chine assure plus de 60 % de la production mondiale de batteries et devrait atteindre 70 % en 2021.
[4] Mais on peut aussi citer les terres rares, le cuivre, l’aluminium ou le platine.
[5] Actuellement il y a 16 000 bornes en France

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