Conseil en énergie, chez Llfp
1- Atlantico : alors que la France, forte de ses 19 centrales et de ses 58 réacteurs, faisait figure de modèle du nucléaire dans le monde, comment décrire sa chute au travers de l'exemple emblématique des EPR de Hinlkey point et de Flamanville ?
Loïk Le Floch-Prigent : après le programme conduisant à la construction des 58 réacteurs, il fallait maintenir les compétences scientifiques, techniques et industrielles en poursuivant l’installation de nouvelles centrales à l’étranger. Le seul grand succès a été la coopération avec la Chine mais il aurait fallu lors des transferts de technologie conserver notre avance. Deux obstacles politiques l’ont empêché, le rêve d’un « Airbus » du nucléaire avec les Allemands, et les coups de butoir des anti-nucléaires se baptisant « écologistes ». Le manque de soutien du sommet de l’Etat a fragilisé la filière nucléaire française, abandon du surgénérateur SuperPhénix (Jospin 1997), et programme du candidat Hollande en 2012 annonçant des fermetures de centrales nucléaires avec en même temps une rupture de la coopération industrielle franco-allemande après l’accident de Fukushima et le recul allemand sur le nucléaire. Pendant que Chinois, Russes et Coréens poursuivaient la mise en place d’outils performants à tous les étages, la France s’étiolait dans des combats internes et n’arrivait même pas à observer sa perte de souveraineté sur des morceaux importants de son patrimoine, la cerise sur le gâteau ayant été la vente d’Alstom à General Electric avec la perte d’un de nos bijoux le turbo-alternateur Arabelle qui équipe 50% des centrales mondiales.
Dans ce contexte la construction de l’ EPR de Flamanville, initiée lors de la lune de miel avec les Allemands a été un calvaire. Refaire le design alors que la construction avait déjà commencé et le faire seuls avec l’hostilité d’anti-nucléaires ayant investi jusqu’au sommet l’appareil d’ Etat était comme une mission impossible que les ingénieurs ont néanmoins voulu effectuer. Délais et surcouts se sont multipliés et on a alors dû constater l’affaiblissement réel de certains pans de notre tissu industriel . Comme les politiciens ne sont jamais à une contradiction près ils ont poussé à engager le programme de deux autres réacteurs en Grande -Bretagne en demandant à EDF de prendre les risques tout seuls !
La filière est en train de se réorganiser, on arrête de se mentir, Framatome et Orano se remettent en état de marche, EDF a engagé une coopération pluriannuelle avec Dassault Systèmes et Cap-Gemini pour effectuer toutes les simulations indispensables et réduire les couts, les filières de formation sont en reconstruction, tout était à refaire et les chantiers sont en cours.
Il n’en reste pas moins que le passé hésitant de l’usine du Creusot est lourd, que les autres abandons de composants essentiels vont devoir être corrigés, que Hinkley Point comporte des risques énormes ignorés par des décideurs irresponsables et que ce programme national a encore une chance de réussir s’il bénéficie du soutien réel du pays et de ses représentants.
2- Atlantico: comment en est-on arrivé à une situation d'un tel surcoût, en arrivant à une conclusion ou il semblerait que les constructeurs doivent eux-même payer la facture de l'ouvrage ?
Loïk Le Floch-Prigent : en ce qui concerne Flamanville on a changé les règles du jeu trois fois au cours de la construction, c’est beaucoup ! En ce qui concerne Hinkley Point il n’y a eu aucune continuité dans l’attitude des Pouvoirs Publics Français à l’égard de leurs homologues Britanniques. Nous avons souffert de la légèreté des hommes et des femmes politiques. Hinkley Point est le programme d’infrastructure le plus ambitieux au niveau européen depuis des dizaines d’années, tout s’est joué sur des postures . Maintenant on n’a plus le choix, il faut réussir, mais ceux qui ont pris le décision devraient avoir du mal à dormir ! Ce n’est pas le cas et on laisse les Ministres de la République, et non des moindres , dénigrer le programme nucléaire national. Si on y croit, on y va, si on n’y croit pas, on n’y va pas ! Tout le monde sait que je n’étais pas un soutien, loin s’en faut, du projet Britannique, mais maintenant que la décision est prise, il faut réussir en étant conscients des écueils …et des couts éventuels pour nos entreprises si cela dérape. Mais je ne voudrais pas que les responsables de ce pari se lavent les mains dès aujourd’hui, qu’ils assument !
3- Atlantico : quelles sont les espoirs que nous pouvons encore entretenir sur ces projets ? Quelles sont les sources d'optimisme ?
Loïk Le Floch-Prigent : je viens de passer pas mal de temps avec des ingénieurs et techniciens à la fois morts de trouille et résolus à réussir . C’est notre seule chance de maintenir un secteur essentiel pour notre avenir national. Nous sommes encore une référence internationale, nous avons des hommes et des femmes d’expérience qui peuvent effectuer la transmission des savoir-faire, nous avons quelques patrons d’envergure qui sont prêts à relever le défi . Mais il faut arrêter de raconter partout que le solaire et l’éolien vont être suffisants pour assurer au monde une électricité abondante décarbonée dans les années qui viennent. Nous allons avoir besoin du nucléaire et il serait bon que les Français soient au rendez-vous.
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