L’énergie et le monde de demain

Jean-Pierre Riou

 

Cette article est la suite du Focus sur l’énergie de Jean-Pierre Riou. Il fait partie d’un triptyque sur la globalité du contexte énergétique. La suite sera exposée dans la 3ème partie de ce dossier : « L’Europe sous tension » .




Efficacité climatique et équation de Kaya
L’équation de Kaya tente de modéliser différents paramètres de la problématique énergétique que constituent l’évolution démographique, celle de l’intensité énergétique – ou quantité d’énergie primaire nécessaire pour la production d’une unité de PIB -, du facteur d’émission de chaque unité d’énergie consommée et du PIB par habitant.
L’économiste Guillaume Gaulier  l’a illustrée, pour la France, par l’infographie reproduite ci-dessous.


 

Ces paramètres sous tendent l’efficacité de toute transition énergétique « pour une croissance verte », et leur visualisation permet de déduire les effets de leur interaction, en l’occurrence la vitesse à laquelle le CO2 diminue, parallèlement à l’augmentation du nombre d’habitants et du PIB moyen de chacun d’eux.
Le défi de la transition énergétique consiste à respecter les engagements de Paris sur les émissions de CO2 malgré les besoins de l’ensemble des secteurs, illustrés ci-dessous par l’évolution de leur consommation depuis 1992.



(Source Ministère de la transition écologique et solidaire)

L’intensité énergétique
La ligne noire obliquant vers le coin inférieur droit représente l’évolution de l’intensité énergétique, c’est-à-dire la quantité d’énergie nécessaire pour produire unité de PIB. Son indication, en base 100, signifie qu’en 2015 il n’a fallu que 72% de l’énergie qui était nécessaire en 1992 pour créer la même richesse.
Soit 0,09 kilo équivalent pétrole (kep) en 2015, contre 0,121kep en 1992 pour créer 1$ constant (2015)et 0,086 en 2017.
Cette diminution de l’intensité énergétique provient des efforts qui ont visé à réduire la consommation pour un même service rendu.
L’efficacité énergétique de ces efforts peut provenir du remplacement de machines par d’autres plus efficaces ou plus sobres, ainsi que de déperditions évitées, notamment par l’isolation des bâtiments. Contrairement à la sobriété énergétique qui correspond à une réduction des besoins.
C’est cette diminution de l’intensité énergétique qui a permis de contenir l’augmentation de la consommation d’énergie, malgré une augmentation régulière aussi bien du PIB par habitant que du nombre d’habitants.

Les 3 lignes horizontales rouges ajoutés à ce graphique permettent de visualiser la réduction brutale de consommation du secteur industriel, sidérurgie comprise, au moment de la crise économique de 2009 et le prolongement de sa lente décroissance ensuite. On retrouve, en toute logique, la baisse de PIB/habitant de 2009 sur l’illustration de l’équation de Kaya.
Inversement, on constate une augmentation de la consommation du secteur résidentiel tertiaire depuis 1992 faisant plus que compenser la diminution du secteur industriel, tandis qu’une légère augmentation du secteur des transports reste peu perceptible.

Prospective
La production de chaleur : un paramètre majeur 
L’analyse de Sia Partners nous apprend que la consommation de chaleur représente la moitié de cette consommation totale d’énergie finale, tous secteurs confondus.
Et que les 2/3 de ces besoins proviennent du chauffage et de l’eau sanitaire du secteur résidentiel et tertiaire.
Les énergies dites nouvelles présentent assurément un potentiel significatif permettant de remplacer les énergies fossiles en chauffant directement bâtiments et eau sanitaire.
C’est déjà le cas de la géothermie, du solaire thermique ou de l’incinération de déchets.
L’énergie perdue en chaleur par les centrales électriques, actuellement peu exploitée par la cogénération (3,4 Mtep),  peut également être valorisée.

Un gisement à portée de main pour notre indépendance énergétique
C’est le cas du formidable gisement de chaleur actuellement perdu par les réacteurs nucléaires.
En effet, sur les 103,8 Mtep de la production nucléaire primaire, la moitié, soit 52 Mtep pourrait être récupérée en chaleur, en plus des 32,6 Mtep d’électricité. La récupération de cette chaleur porterait le rendement de nos réacteurs à 80% au lieu de 30 % actuellement.
Pas moins de 74 réacteurs dans le monde fonctionnent avec une telle cogénération, notamment dans le nord de l’Europe, alors qu’aucun réacteur ne le fait en France, comme le rappelle  la Société française d’énergie nucléaire (SFEN).
Son étude rappelle qu’ « on sait aujourd’hui réaliser des canalisations isolées avec des pertes thermiques très faibles, moins de 2 % sur 150 km de long ». Et mentionne la relative facilité de modifier le fonctionnement des réacteurs actuels à cet effet en précisant que : « Cette modification reste cependant limitée. Elle n’affecte nullement le fonctionnement du circuit primaire du réacteur », et ajoute que « le mode cogénération autorise une plus grande flexibilité électrique » et de surcroît permet de récupérer une chaleur qui serait sinon « simplement rejetée dans l’environnement ».
Pourtant l’essentiel des besoins nationaux en chaleur est alimenté en basse température et compatible avec cette cogénération.
Ces 52 Mtep de chaleur ainsi perdue chaque année représente le tiers des 153,6 Mtep de consommation totale d’énergie finale du pays en 2017, dont la moitié, rappelons le, en chaleur.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Commission européenne prend en compte l’intégralité de la production d’énergie primaire de notre parc nucléaire pour chiffrer le taux d’indépendance énergétique française à 54%, soit bien supérieur à la moyenne européenne ( 45,9%), ou à celui de l’Allemagne (38,1% ), alors que nous ne disposons plus de produits pétroliers ni de charbon.
Le fait que nous en rejetions stérilement les 2/3 dans la nature, est une autre affaire, l’affaire du choix politique de ne pas en valoriser la production, au détriment des rapports énergie primaire/PIB et énergie primaire/CO2 ainsi que sur les conséquences géopolitiques d’une nécessité d’importations stratégiquement sensibles.

Nucléaire et CO2
Il est important de ne pas ignorer qu’en France où l’électricité est très peu carbonée et où le procédé d’enrichissement de l’uranium est sobre en énergie depuis la mise en service de l’usine Georges Besse 2, le cycle complet du nucléaire a été évalué à 5,29g CO2/kWh, soit 2 fois moins que les chiffres du GIEC pour l’éolien dans lesquels celui-ci est estimé à 11g CO2/kWh, et la moyenne mondiale du nucléaire à 12 g CO2/kWh.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le résumé à l’attention des décideurs que vient de publier le GIEC préconise la multiplication par 6 du nucléaire mondial dans ses scénarios permettant de respecter l’accord de Paris sans décroissance.
Tensions sur le réseau électrique
L’électricité constitue ainsi le principal vecteur permettant de s’affranchir des énergies fossile. La transition numérique et les technologies alternatives en augmenteront le besoin.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient de publier un avertissement confirmant le  rôle croissant que l’électricité est appelée à jouer dans l’approvisionnement énergétique mondial.
Mais l’ AIE alerte également sur son talon d’Achille qu’est la part d’intermittence des EnR : solaire et éolien, qui exige une flexibilité croissante du système électrique mais ne peut se passer de centrales pilotables.
Selon l’ AIE, cette flexibilité « devrait toujours être majoritairement assurée par des centrales conventionnelles ». Or, « Les revenus des marchés de gros sont souvent insuffisants pour déclencher de nouveaux investissements dans les capacités de production, ce qui pourrait compromettre la sécurité d’approvisionnement ».
Une guerre à mort
Il ne serait pas responsable d’occulter les conséquences de toute politique énergétique sur la guerre permanente et sans merci que se livrent les États.
Dans son testament spirituel, François Mitterrand confessait : « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. »
Et le nerf de cette guerre est l’énergie.

Épilogue
Dans cette rivalité économique, la France dispose d’un parc nucléaire dont les coûts de construction sont déjà amortis, qui fournit les ¾ de son électricité sans émissions de CO2 et reste en mesure de fournir une bonne partie des besoins de chaleur.
L ‘évolution à court terme de la taxe carbone promet de faire de ce parc un avantage écrasant sur celui de ses voisins.  Car la rentabilité de leurs centrales à charbon dépendra de la réduction, ou non, de notre parc nucléaire, ainsi que le redoute explicitement l’Allemagne dans le rapport franco allemand AGORA IDDRI :  « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 »
Celui-ci explique en effet qu’« En France, le développement visé des énergies renouvelables et le réinvestissement dans le parc nucléaire au-delà de 50 GW comporterait un risque important de coûts échoués dans le secteur électrique. » Ce rapport montre pourtant l’importance du rôle de ce nucléaire en regard des inquiétudes de l’ AIE  « En 2030, un parc nucléaire maintenu à des niveaux élevés devra opérer plus fréquemment en suivi de charge, contribuant à la flexibilité du système électrique ». Ce qui doit faire comprendre qu’il sera ainsi doublement pénalisé pour ne pas vendre quand il y a du vent et vendre à bas coût quand il n’y en a pas, la disponibilité de sa production ayant un effet dépressif sur les cours comme le confirme le rapport: « Avec un parc nucléaire élevé, la production d’électricité est en hausse, mais les coûts du parc augmentent en raison d’une plus faible production ramenée à la capacité de production. De plus, ces pro­ductions supplémentaires sont vendues à des niveaux inférieurs car le maintien d’une capacité de produc­tion nucléaire plus importante a un effet dépressif sur les prix de marché de l’électricité. »  
Tandis que mécaniquement, la rentabilité du charbon allemand sera augmentée par la réduction du parc nucléaire : « Dans le cas d’une baisse de capacités nu­cléaires à 40 GW, le surplus producteur des capacités charbon et lignite résiduelles est augmenté de respec­tivement 18 et 23 €/kW par an par rapport au scéna­rio haut nucléaire. Ce gain de compétitivité du mix thermique allemand vis-à-vis du nucléaire français s’illustre également par une augmentation du taux d’utilisation des centrales résiduelles, ce qui explique également la hausse des émissions de CO observées en Allemagne dans ce cas de figure. »
Le propos de cet article n’est pas de juger où quand ni comment une décroissance contrôlée des besoins est désirable. Bien que de nombreux éléments suggèrent qu’elle le soit.
Mais de montrer à la fois le rôle clé que semble devoir jouer l’électricité dans la problématique de l’énergie et d’expliquer comment l’injection croissante d’intermittence sur son réseau en fragilise le système  et en affecte durablement la rentabilité.
Évoquant l’allusion que la récession est à la décroissance ce que le blackout est à la flexibilité, et que c’est bien l’un et l’autre que nous nous préparons à grands frais.
Pour la raison que cette situation dissuade les investissements de long terme pourtant nécessaires à la robustesse et la sécurité de sa production ainsi que dans la recherche de toute alternative pérenne.
Ce qui ne manque pas de favoriser la compétitivité du gaz au détriment de celle de l’électricité, la compétitivité de l’Allemagne au détriment de celle de la France, et celle des pays émergents comme la Chine au détriment de celle de l’Europe.
Car la Chine ne cache pas ses ambitions pour régir les normes de l’économie mondiale et a décidé de dominer les technologies nucléaires les plus performantes, aussi bien de 3ème et 4ème génération que  celle, à plus long terme, du Graal de l’énergie : la fusion nucléaire.
Parallèlement, les chinois investissent massivement dans l’éolien européen, écrasent le marché des panneaux solaires dont ils détiennent le quasi monopole des terres rares nécessaires à leur fabrication. Il serait utile de se rappeler que le développement des énergies renouvelables en Chine était sous tendu par l’opportunité du transfert de technologies vers la Chine et celle de polluer à moindre coût en Occident.
Alors que son retour de bâton fragilise désormais son système électrique, l’Europe commence à peine à réaliser qu’en rachetant le secteur de son énergie, c’est sur ses forces vives que la Chine s’apprête à mettre la main.
Les hypothèses de stockage futur, pourtant indispensable à la pérennité du modèle électrique actuellement préconisé, n’en sont qu’au stade de démonstrateurs subventionnés depuis maintenant 3 décennies que le problème est posé en ces termes.
Sans même qu’on sache encore quelle technologie sera la plus pertinente.
Et l’Europe de l’électricité construit à grands frais une usine à gaz sur des sables mouvants en se demandant encore comment résoudre, un jour, le problème de l’injection de ses fondations.
Le formidable atout que peut représenter le nucléaire pour l’avenir de la France a amené le Chef de l’État à minimiser les engagements de fermetures de réacteurs tout en repoussant leur échéance.
Dans le même temps, il a annoncé 7 à 8 milliards d’euros annuels destinés à soutenir le développement des énergies renouvelables, notamment le triplement de l’éolien terrestre et le quintuplement du parc photovoltaïque d’ici 2030.
En jouant sur les 2 tableaux, le Chef de l’État  semble ménager la chèvre tout en respectant le chou.
Mais c’est la chèvre qui s’occupera du chou.

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