Les batteries : une technique clé pour la transition énergétique

Pierre Papon

Le stockage de l’électricité est un point de passage obligé pour la transition énergétique car il est indispensable de stocker l’électricité sur un site de production par les filières renouvelables (éolien et solaire) qui sont des sources intermittentes, en particulier pour pouvoir l’utiliser aux heures de pointe.

Les batteries électrochimiques sont également une technique incontournable pour l’alimentation électrique des moteurs des véhicules électriques. Quelles sont les perspectives de ces techniques ? On fait le point.

 

Le stockage électrochimique de l’électricité dans des batteries est, depuis plus d’un siècle, la technique la plus couramment utilisée dans les véhicules thermiques et électriques.
Il est aussi expérimenté sur des installations stationnaires pour équiper des centrales solaires photovoltaïques ou des fermes éoliennes ; le stockage sous forme d’hydrogène produit par électrolyse de l’eau pour alimenter une pile à combustible est une alternative possible mais peu développée, le rendement global de l’opération de stockage est inférieur à 50%.



L’expansion prévue du parc de voitures électriques a lancé une véritable « course » aux batteries électriques dans laquelle la batterie lithium-ion est actuellement le cheval de bataille des constructeurs de véhicules électriques mais aussi ceux de téléphones portables et d’ordinateurs.
Renault équipe son récent modèle de Zoé avec une batterie qui lui donne une autonomie de 400 km tandis que le modèle S de Tesla affiche une autonomie de 500 km.
Dans les batteries électrochimiques, lithium-ion par exemple (constituée par un ensemble de cellules), l’électricité est stockée sous forme chimique, le courant électrique, des électrons, provoque des réactions en circulant entre l’anode et la cathode de la batterie (les ions lithium chargés positivement circulant en sens inverse à travers un électrolyte).
Les constructeurs ont trois objectifs : –  augmenter la densité énergétique d’une batterie (elle est au maximum de 250 Wh/kg actuellement pour la batterie lithium-ion) – augmenter sa durée de vie en supportant un plus grand nombre de cycles de charge-décharge (700 à 1500 cycles au maximum pour les batteries lithium-ion selon les conditions d’utilisation) – diminuer son prix (celui du kWh stockable de la batterie lithium-ion a chuté de 1000 $ en 2010 à environ 150 $/kWh en 2017).
Ils doivent également tenir compte des conditions de sécurité (éviter un incendie).
Force est de constater que les électrodes des batteries mobilisent des métaux (notamment le lithium et le cobalt) dont les ressources sont forcément limitées, la disponibilité des métaux, le  poids et l’encombrement des batteries (celles pouvant donner une grande autonomie aux véhicules, 500 km, sont encore trop lourdes et trop volumineuses) et leur coût sont trois paramètres clés sur lesquels il faut jouer.

Des efforts à faire sur les matériaux

Les progrès ont été relativement lents sur ces trois fronts et les efforts portent en priorité sur les matériaux et leurs structures.
Les ions lithium sont intercalés dans la structure des électrodes : du graphite dans les anodes et des oxydes métalliques pour les cathodes (en général des oxydes d’aluminium, de cobalt et de nickel, ou des oxydes dans lesquels le manganèse remplace l’aluminium).
Une batterie avec un assemblage de cathodes pesant 100 kg contient de 6 à 12 kg de cobalt et de 36 à 48 kg de nickel.
Si à moyen terme, dix-vingt ans, l’approvisionnement en cobalt ne pose pas de problème majeur, il n’en sera sans doute pas de même avec une production de voitures électriques qui dépasserait les 10-15 millions d’unités/an ; le cobalt est un métal relativement coûteux (mais son prix a chuté depuis un an), avec une production de minerais limitée (environ 150 000 tonnes/an) qui était assurée à 56% par la République Démocratique du Congo en 2015, la Chine produisant la majeure partie du métal.
Observons que la Nouvelle Calédonie est également productrice de cobalt associé à son importante production de minerai de nickel ce qui est un atout pour la France.
A terme, il faudra donc envisager un recyclage systématique du cobalt des batteries après usage si l’on pas trouvé d’alternative à ce métal. Des cathodes avec des phosphates de fer et de lithium en sont une, mais les batteries se déchargent plus rapidement.
Une autre possibilité, encore au stade du laboratoire, serait d’utiliser des cathodes constituées d’un mélange de fluorures de fer et de silicium, leur densité énergétique serait théoriquement supérieure à 800 Wh/kg mais leur temps de charge est encore trop long et leur stabilité doit être améliorée.
L’incorporation de silicium aux anodes augmenterait fortement la capacité de stockage des batteries (Tesla utilise ce type d’anodes dans ses batteries). 

Une autre perspective serait de remplacer le lithium (le plus léger des métaux, exploité notamment à partir de gisements des lacs les Andes) dans une batterie par un autre métal, le magnésium, le sodium et le zinc car si la production de voitures électrique s’emballait les réserves de lithium seraient insuffisantes; les performances de ces batteries sont intéressantes mais elles n’ont pas dépassé le stade du laboratoire (le nombre de cycles charge/décharge qu’elles peuvent subir étant un point critique).
Toutefois, en France le « Réseau sur le stockage électrochimique des batteries », dont font partie le Cnrs, le Cea et des industriels, a mis au point une batterie sodium-ion qui pourrait supporter au minimum 2000 cycles, sa durée serait donc supérieure à celle de son homologue au lithium, sa densité énergétique serait inférieure mais elle a l’avantage de pouvoir être chargée rapidement.
Des couples Lithium-air (on produit et on dissocie des oxydes ou des peroxydes de lithium dans la batterie, avec une des électrodes en lithium métallique) sont envisagés. Leur intérêt est de pouvoir « mobiliser » deux ou quatre électrons par molécule (au lieu d’un seul pour le lithium), leur densité énergétique serait trois à quatre fois celle de la batterie lithium-ion et donnerait à une voiture électrique une autonomie comparable à celle de l’essence, mais ce système a l’inconvénient de fonctionner à 150 °C (l’utilisation du lithium métallique posant aussi des problèmes de sécurité), les travaux sont, là encore, au stade de la R&D ainsi que sur les couples zinc-air.
La durée de vie des batteries lithium-ion est souvent limitée par la formation de dendrites sur l’anode (un filament métallique qui se forme à sa surface) qui, en grandissant, peuvent atteindre la cathode et provoquer un court-circuit qui l’endommage et diminue sa durée de vie, voire déclenche un incendie.
Des chercheurs de l’Institut polytechnique Rensselaer ont trouvé une parade consistant à envoyer par intermittence des impulsions électriques qui, en chauffant les dendrites, les fondent et les détruisent. Ils ont démontré l’efficacité de cette technique sur une batterie lithium-soufre, il reste à l’appliquer à d’autres batteries.

Le soufre, option plausible ?

Le couple lithium-soufre, une autre option, semble avoir réalisé une percée importante, annoncée récemment par une start-up britannique Oxis Energy, qui a ouvert une petite usine pilote à Abingdon.
Dans cette filière, on remplace dans la cathode de la batterie lithium-ion classique les métaux qui piègent les ions lithium par du soufre qui est léger et peu cher ; on allège ipso facto la batterie dont la densité énergétique serait le double de celle de la batterie lithium-ion.
Toutefois, cette batterie ne peut supporter qu’une centaine de cycles ce qui est un sérieux handicap, et destinerait son usage à l’équipement de drones et d’engins sous-marins, voire d’appareils militaires (elle est testée par Airbus sur le drone Zéphyr).
Le soufre a l’inconvénient sérieux d’être un mauvais conducteur de l’électricité, autrement dit, il ne facilite pas le transfert des électrons aux ions lithium dans la cathode.
En immergeant le soufre dans du graphite (ou dans des couches de graphène) qui est un excellent conducteur et en enrobant la cathode dans un film de polymère pour éviter la migration de polysulfures qui empoisonnent l’anode, on pourrait atteindre une densité énergétique de 500 Wh/kg.
Si sa durabilité était augmentée, elle serait un concurrent sérieux pour la batterie lithium-ion. La filière sodium-soufre est une seconde option, étudiée depuis longtemps et actuellement testée pour des batteries stationnaires sur des sites de centrales solaires ou éoliennes (notamment par EDF à l’île de la Réunion avec une batterie de 1 MW et au Japon).
Les électrodes sont constituées de sodium et de soufre fondus et sont séparées par une céramique en alumine. Elle a l’inconvénient de fonctionner avec du sodium à haute température (150-300°C), mais ceci ne constitue sans doute pas un inconvénient majeur pour une installation de ce type si elle est isolée.
La pile à hydrogène fonctionnant à très haute température (600-1000°C) avec des matériaux qui sont des oxydes solides, de nickel notamment, et qui ne nécessite pas l’utilisation du platine comme catalyseur est aussi une option pour le stockage stationnaire.

Un enjeu industriel majeur

Le perfectionnement des batteries et la mise au point de nouvelles filières (sans lithium) constituent un enjeu scientifique et industriel majeur. Un effort de R&D à long terme est indispensable, il est piloté en France par le « Réseau sur le stockage électrochimique des batteries ».
La batterie lithium-ion qui est perfectible peut certes tenir la tête de la course pendant plusieurs années et s’il est prématuré d’annoncer des  ruptures, les progrès récents montrent que les jeux ne sont pas encore faits dans les laboratoires.
Une stratégie industrielle suppose également une politique minière d’approvisionnement en métaux « critiques » que la France, comme l’Europe et contrairement à la Chine, a mise aux oubliettes, cette carence est un handicap pour l’avenir de la filière des batteries.

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