La dure loi de l’ Eroi : l’énergie va devenir plus rare et plus chère

Victor Court
16 octobre 2017

Victor Court est ingénieur agronome (AgroParisTech) et titulaire d’un master en économie de l’énergie. Sa thèse de doctorat a porté sur le lien entre l’ Eroi (Energy Return On Investment) des systèmes énergétiques et la croissance économique de long terme. 



L’ « Energy Return On Investment (Eroi) » est le ratio entre l’énergie utilisable et celle consommée pour l’obtenir. L’auteur de cette tribune explique l’importance de cet indicateur méconnu.

Dire que l’homme « produit » de l’énergie est un abus de langage. En vérité, l’homme peut seulement extraire l’énergie de l’environnement, la transporter, la transformer et l’utiliser sous diverses formes qui génèrent des services. Par ailleurs, la construction et l’utilisation de toutes les infrastructures qui permettent l’extraction, la transformation et le transport de l’énergie (mines, puits de forage, pipelines, raffineries, centrales électriques, éoliennes et panneaux photovoltaïques, etc.) consomment elles-mêmes de l’énergie. Ainsi, la formule-clé de la « production » humaine d’énergie est l’ Eroi pour « Energy Return On Investment », c’est-à-dire le ratio entre l’énergie produite et l’énergie consommée au préalable pour produire cette énergie. On peut le traduire par « taux de retour énergétique » (TRE).

Imaginons que l’ Eroi du système pétrolier soit de 20. Cela veut dire que pour 1 unité d’énergie consommée pour construire les puits de forage, les pipelines, les tankers, et les raffineries, l’ensemble de ce système génère 20 unités d’énergie pour la société. Logiquement, seules 19 de ces 20 unités d’énergies sont disponibles pour faire autre chose qu’extraire de l’énergie, c’est-à-dire supporter la production de nourriture et de bien manufacturés, le transport de ces biens et des personnes, les moyens de maintien de l’ordre interne et de défense externe, le système éducatif et de santé, et le développement culturel.

L’énergie éolienne n’a pas un Eroi élevé
Il faut ajouter une vision dynamique à cette analyse : l’ Eroi d’un système énergétique est un indicateur de la lutte qui s’opère à tout moment entre le progrès technique et l’épuisement physique. Lorsque l’on commence à exploiter une ressource énergétique (du pétrole, du gaz ou le flux de vent terrestre, par exemple), on commence généralement par la partie de la ressource la plus facilement accessible (les meilleurs gisements de pétrole, les sites avec les vents les plus constants), si bien que, dans un premier temps, les gains du progrès technique tendent à faire augmenter l’ Eroi. Mais au bout d’un moment, l’exploitation se tourne nécessairement vers des sites de moins bonne qualité, au point que cet effet d’épuisement de la ressource prévaut pour les non renouvelables et les renouvelables et entraîne alors une baisse de l’ Eroi.
Malgré des débats toujours en cours sur la méthodologie de calcul des Eroi, on peut dégager certaines tendances du grand nombre d’études qui ont été menées. Il apparaît donc que :

-les systèmes énergétiques préindustriels, fondés sur la conversion de l’énergie solaire en nourriture et en bois de chauffe, avaient des Eroi autour de 10-20 ;
-les énergies fossiles conventionnelles (charbon, pétrole, gaz) ont des Eroi bien plus élevés autour de 40-80 ;
-les fossiles non conventionnels (sables bitumineux, pétrole lourd, pétrole et gaz de roche-mère, kérogène) et les renouvelables modernes (éolien, PV, géothermie, etc.) vers lesquels une transition complète est envisagée ont pour l’instant des Eroi plus faibles, autour de 5-20.

Par ailleurs, avec mon collègue Florian Fizaine, nous avons montré que les Eroi maximums du pétrole et du gaz au niveau mondial ont été atteints au cours du XXe siècle (lien vers étude). Cela n’est pas le cas pour le charbon, pour lequel nous envisageons un Eroi maximum d’ici quelques décennies. Pour les renouvelables, c’est surtout le caractère intermittent de ces énergies diffuses, et donc la nécessité de disposer d’installations électriques de réserve et de stockage, et de procéder à un renforcement des réseaux électriques, qui empêchent ces moyens de production d’avoir des Eroi élevés aujourd’hui.
C’est-à-dire qu’il faut relativement beaucoup d’énergie pour produire cette énergie.


La canne à sucre est utilisée comme agrocarburant

Dans une autre étude, nous avons confirmé une intuition jusque-là communément admise sans preuve, à savoir qu’un Eroi agrégé de moins de 11 est incompatible avec un taux de croissance économique positif dans une économie moderne, si bien qu’il faut surement compter sur un Eroi agrégé de 12-15 pour observer une croissance économique positive et soutenue. On en déduit que le maintien d’une prospérité matérielle élevée (pour ne pas dire croissante !) sera difficilement conciliable avec un système énergétique principalement fossile qui a toutes les chances de voir son Eroi décroître au cours du temps compte tenu du caractère inéluctable de l’effet d’épuisement (cela prendrait néanmoins beaucoup de temps compte tenu des réserves importantes de charbon).

Le monde de demain devra être beaucoup plus « restreint » pour chaque citoyen
De ce fait, qui s’additionne à celui du changement climatique, la transition énergétique vers les renouvelables est indispensable au maintien à long terme d’un certain niveau de confort matériel, pour autant que, au cours de leur déploiement à grande échelle, les Eroi de ces technologies augmentent suffisamment par l’effet du progrès technique.
L’ Eroi est un indicateur parmi d’autres pour orienter les choix de trajectoires technologiques du secteur énergétique. Compte tenu des difficultés qui entourent les estimations de l’ Eroi, il ne doit pas être vu comme une variable de choix inconditionnel, et il serait erroné, voire néfaste, de vouloir absolument maximiser l’ Eroi agrégé du système énergétique et de définir l’approvisionnement énergétique d’un pays sur cette base. En revanche, recourir au Eroi peut permettre d’éviter certains écueils.
Les agrocarburants de première génération sont symboliques d’un choix de technologie énergétique qui n’aurait jamais dû arriver au stade de l’industrialisation à grande échelle si des calculs sérieux d’Eroi avaient été effectués. En effet, au prix d’une augmentation de l’instabilité des prix des matières agricoles, d’un gain en matière de gaz à effet de serre fortement discuté (à cause notamment du phénomène induit de changement indirect d’affectation des sols), des dizaines de pays réalisent cette aberration qui consiste à brûler des denrées comestibles dans les moteurs de leurs voitures et camions, et ce (en dehors de la filière brésilienne de canne à sucre) pour un Eroi à peine supérieur à 1 voire inférieur à cette valeur, ce qui implique dans ce dernier cas que les filières d’agrocarburants sont consommatrices nettes d’énergie !
Il y a aujourd’hui un manque criant d’anticipation des changements profonds d’organisation induits par la transition énergétique à venir. Il est par exemple anormal que l’organisation des villes et du territoire continue de se faire sur les mêmes schémas que ceux des périodes florissantes du XXe siècle fondé sur une énergie fossile abondante et peu chère. Les politiques publiques doivent beaucoup mieux assimiler que le monde de demain, fondé sur l’énergie renouvelable ou non, devra être beaucoup plus « restreint » pour chaque citoyen. La consommation matérielle effrénée est incompatible avec notre avenir énergétique, qu’il soit renouvelable ou non. Ne pas anticiper cet état de fait ne rendra sa concrétisation que plus douloureuse.


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