L’éolien industriel, faussement écolo mais vraiment répressif

Jean-Baptiste Vidalou



L’éolien industriel s’appuie sur un mensonge majeur, affirme l’auteur de cette tribune : il serait une énergie parfaitement « verte », « propre », « renouvelable ». Les mécanismes de ce discours écoblanchissant ont été analysés par les militants de l’ Amassada, lieu emblématique de l’opposition à l’éolien industriel. Ils sont exposés à une vive répression.

Jean-Baptiste Vidalou est l’auteur de Être forêts. Habiter des territoires en lutte (Zones, 2017). Il a écrit ce texte pour l’ Amassada, lieu emblématique de l’opposition à un grand projet d’éolien industriel à Saint-Victor-et-Melvieu (Aveyron).

Tous les jours, nous entendons la même petite musique : « L’énergie est notre avenir, économisons-la », « L’élec-verte, vous vous y mettez quand ? », « EDF, changer l’énergie ensemble »… Propagande des énergéticiens en tout genre pour nous faire accepter cette idée qu’ils sont et seront les « sauveurs de l’humanité », ceux qui répareront, comme on répare une machine en panne, le climat de la planète. Ceux qui « solutionneront » la hausse dramatique des températures, ceux qui seront les géo-ingénieurs prêts à contrôler une « Nature » devenue trop chaotique. Mais cette caste de grands industriels n’a pas seulement pour but de poursuivre son extractivisme délirant, de produire de l’énergie, toujours plus d’énergie — quoi qu’il en coûte de la vie sur Terre — mais aussi de produire du mensonge. Qu’il y ait, présentement, une transition énergétique menée par les grands groupes du nucléaire, du gaz, du pétrole, paraît tellement grossier qu’il faut un paquet de mensonges bien ficelés pour faire accepter la farce. Le greenwashing opéré par la prétendue transition est maintenant dénoncé sur la place publique. Le dernier livre de Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, en est un exemple : notre mode de vie « high-tech et vert » ne tient que par les chaînes d’extraction de métaux rares dans les mines de Chine. Avec les désastres humains et environnementaux qu’on connaît. Mais ce sont ces « métaux stratégiques », qui rendent possibles la production de toutes nos batteries de voitures électriques, nos iPhone, nos écrans plats, nos tablettes et bien sûr les aimants de nos éoliennes industrielles.

Un coup de semonce répressif
Emboîtant le pas à cette critique, cela fait plus de trois ans que nous nous mobilisons, depuis l’ Amassada, contre ce greenwashing. Trois ans pendant lesquels les mécanismes sordides des grands groupes de l’énergie ont été décryptés. Trois ans d’analyses avec la collaboration d’historiens, d’ingénieurs, de militants, de praticiens, d’artisans, pour montrer que la solution ne viendra pas du « tout électrique », ni des « réseaux intelligents », ni des « objets connectés » que promeuvent EDF, RTE, Enedis et consorts mais bien d’inventions low tech, de politiques de décroissance radicale, d’agroécologie, de constructions autonomes, de décisions locales et en assemblées populaires, d’expérimentation sociale, d’une nouvelle culture collective née de la lutte.



Et c’est sans doute de tout cela, de toute cette dynamique hétérogène et créatrice, que le pouvoir en place veut faire table rase, en donnant un coup de semonce répressif. Car lorsque, le 25 janvier dernier, 13 habitants et habitantes de plusieurs communes du sud de l’Aveyron se voient embarqués par un contingent de plus de 80 gendarmes, au prétexte qu’ils auraient participé au blocage d’un chantier éolien, de quoi s’agit-il sinon d’un coup de semonce ? Un coup de semonce qui annonce les opérations policières pour détruire le hameau de l’ Amassada, pour détruire ce qui a été créé depuis trois ans contre l’implantation du méga transformateur RTE.

Le dispositif est connu depuis la criminalisation des mouvements sociaux et le ciblage des militants écologistes par le harcèlement judiciaire. C’est une technique courante depuis la COP21 pour affaiblir les contestations. Ici, dans le sud de l’Aveyron, cinq personnes ont reçu des convocations d’assignation en référé au tribunal de Rodez. Le groupe Théolia-Futuren-EDF EN, maître d’œuvre de ce chantier éolien qui a été bloqué le 12 décembre 2017, demandait à la justice d’interdire à ces cinq personnes un espace comprenant routes et chemins de randonnée autour du chantier éolien de Crassous, et ce pendant 14 mois, sous peine d’une amende de 2.000 euros par heure de présence… Le tribunal de grande instance de Rodez a rejeté, le 1er février, la demande de « référé d’heure à heure » concernant ces cinq personnes, mais en précisant que la procédure est bien applicable pendant toute la durée du chantier. Un coup de semonce donc.


Des militants poursuivis par une société connue pour « ses magouilles boursières et les endettements à répétition »

La chose est assez cocasse pour être révélée : l’entreprise Théolia se fait d’abord connaître en 2007 par ses magouilles boursières et les endettements à répétition sur le dos de ses petits actionnaires. Elle détient des parcs éoliens en Allemagne, au Maroc, en France, en Italie. En 2015, l’entreprise change de nom pour devenir Futuren, histoire de « tourner la page » de ses déboires financiers, avant d’être rachetée à 60 % par EDF EN en 2017. Et c’est ce groupe Théolia-Futuren- EDF EN, qui fait maintenant appel à la justice pour intenter une judiciarisation de l’opposition à l’éolien industriel… Elle se permet d’embaucher un huissier de justice et un cabinet d’avocats, Green Law (là aussi, on rigole, la « loi verte »…), dont la spécificité est l’accompagnement juridique des projets d’aménagement et des projets éoliens en particulier. Cabinet dont le but clairement annoncé est de simplifier et d’accélérer les procédures d’implantation de l’éolien industriel.

Il est quand même piquant, lorsqu’on connaît les moyens mis en œuvre par les groupes de l’énergie pour masquer aux populations locales leur « prospection » de nouveaux parcs éoliens, d’entendre leurs représentants gloser sur la « concertation nécessaire avec les territoires ». Ce qu’il s’agit très pragmatiquement pour eux d’opérer, et comme le déclare à demi-mot, en janvier 2018, le rapport favorable de la commission d’enquête publique pour le projet RTE de transformateur du sud de l’Aveyron, c’est de faire passer leurs projets d’aménagement comme un sacrifice nécessaire des territoires. « La solidarité nationale, rendue possible par le réseau électrique, et dans le cadre des projets RTE, doit l’emporter sur le nombre des habitants impactés par ces projets dans les territoires ruraux. » Au mépris des habitants s’ajoute donc le vieux chantage de la « sécurisation » du réseau : sans transfo, ce sera la coupure, mon petit monsieur…



Mais ce que RTE fait mine de ne pas comprendre, c’est que la solidarité, eh bien ! elle ne passe pas par des lignes THT. Elle passe à même les rencontres entre les corps, à même la mise en commun de nos idées. Les assemblées de lutte, ici, comme ailleurs, si elles ont pris comme point de départ l’opposition au transformateur et aux éoliennes industrielles qui l’accompagnent, ont été bien au-delà de cette opposition en politisant tous les aspects de la vie quotidienne. C’est évidemment à cette légitimité de s’organiser sans eux, de décider sans ses experts mandatés, que RTE tentera de s’attaquer. Et ils le feront avec la force de ses juristes et de la police. Mais ils trouveront devant leurs machines notre solidarité à nous tous. Seule la lutte transforme.
Pour l’ Amassada.

VISIONNEZ LE FILM « PAS RES NOS ARRESTA »
https://youtu.be/gqGDH4fXIF4

Ce film retrace l’histoire de l’ Amassada et de l’opposition au transformateur électrique à Saint-Victor-et-Melvieu (Aveyron).


Être forêts, de Jean-Baptiste Vidalou, éditions Zones, octobre 2017, 144 p., 14 €.

Source : Courriel à Reporterre
Photos : captures du film PAS RES NOS ARRESTA, 

- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

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