Quand la réglementation freine la transition énergétique

Brice Lalonde
président d’ EdEn
01/06/2018

LE CERCLE/POINT DE VUE - Une norme datant de 1968 surévalue la consommation énergétique réelle des bâtiments.

Connaissez-vous le 2,58 ? C'est un petit ressort caché dans les recoins de la réglementation française de l'énergie. Il est inconnu des responsables politiques, ignoré des Français.
Pourtant, à cause de ce petit ressort réglementaire, la France sort de la route tracée en 2015 pour lutter contre le dérèglement climatique. A cause de lui, les émissions de gaz à effet de serre du bâtiment sont en 2017 de 11 % supérieures à ce qu'elles devraient être, alors que le gouvernement prétend les réduire !

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2,58, c'est le chiffre par lequel ce petit ressort administratif caché force les bâtiments collectifs neufs et rénovés à émettre du CO2 et cela pour des décennies, en dépit de tous les engagements pour le climat. C'est tout simple : la réglementation ne mesure pas la consommation réelle d'électricité d'un bâtiment, elle la multiplie par 2,58 !

Lobby du gaz
Du coup, se chauffer à l'électricité devient pour l'administration un gaspillage d'énergie : « Passez au gaz, s'il vous plaît. » Le gaz, lui, ne subit aucun handicap. Bref, tous les bâtiments collectifs neufs construits et nombre de rénovés en France sont chauffés au gaz !
J'entends souvent parler du lobby nucléaire, celui du gaz se défend bien. Et, de fait, le gaz est à l'offensive dans notre pays, l'électricité, sur la défensive. Sans doute pâtit-elle de ses origines nucléaires, sans doute a-t-elle été arrogante naguère, à l'époque des radiateurs électriques inefficaces qui créaient de redoutables pics de consommation pendant les week-ends d'hiver. Mais tout change aujourd'hui, le numérique réduit les pics de consommation, le chauffage électrique s'est métamorphosé en produits de haute technologie, le stockage de l'électricité progresse et sa génération est presque totalement décarbonée.

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Le 2,58 date du début des années 1968, quand l'électricité était majoritairement produite en brûlant du charbon. Cette source d'énergie était dite « primaire » parce qu'elle existe dans la nature, alors que, transformée en électricité et achetée par le consommateur, l'énergie est dite « finale ». Le coefficient multiplicateur traduisait le rendement des centrales de l'époque et avait pour but d'économiser le charbon, puis le fioul. Il n'était pas malin de se chauffer à l'électricité quand on pouvait directement utiliser le charbon dans son poêle sans perdre les deux tiers de la chaleur.
Nombre d’États européens continuent à brûler du charbon. Pas la France. L'Europe s'interroge : faut-il trouver une valeur moyenne au coefficient ? La solution est de laisser chaque pays choisir en fonction du contenu en carbone de son bouquet électrique.

Remettre de la cohérence
Aujourd'hui, on ne met pas d'uranium dans sa cheminée, et l'on n'a pas besoin d'économiser les cours d'eau, le soleil et le vent, par définition renouvelables. C'est donc sur l'énergie finale, celle qui est consommée par les Français, et qu'ils paient, que doivent porter les efforts d'efficacité.
Pourtant, le 2,58 est toujours là, le petit ressort administratif caché barrant la route à l'électricité. C'est préoccupant, car l'électricité est bien le vecteur de la transition écologique, associant l'énergie au digital, organisant la complémentarité entre les véhicules électriques, les bâtiments connectés et la production décarbonée.
Ce serait dommage, tandis que le monde applaudit les performances de la France dans la lutte contre le changement climatique, que les Français se plaisent à les dégrader. Il faut que la programmation pluriannuelle de l'énergie soit l'occasion de remettre de la cohérence dans la réglementation. La politique de l'énergie vise la réduction des émissions, non l'augmentation de la consommation des combustibles fossiles.

Brice Lalonde, ancien ministre de l’Écologie, est président d' EdEn (association Équilibre des énergies).

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