Les français et le nucléaire

Jean-Pierre Riou
31.10.2018



European Scientist est le média de la science et des politiques scientifiques en Europe. C’est à ce titre par exemple que nous avons lancé une série sur le financement de la recherche scientifique en Europe. Nous sommes heureux aujourd’hui de vous présenter notre nouvelle série : « l’énergie en Europe ». Nous inaugurons celle-ci par deux premiers article, l’un du Ministre Polonais de l’Energie sur « Pourquoi la Pologne a besoin du nucléaire ? » et l’autre de notre expert énergie Jean-Pierre Riou sur « Les Français et le nucléaire ».

Vous êtes experts et souhaitez poursuivre le débat ? Envoyez-nous vos contributions à jpo@europeanscientist.com et/ou contact_eu@europeanscientist.com

Le partage de l’inculture scientifique

Dans sa dernière tribune [1], Laurent Alexandre fustige l’inculture scientifique de nombreux responsables politiques et s’inquiète des conséquences de la victoire du dogme sur la Raison.
Cette inculture est plus pernicieuse encore lorsqu’elle concerne la pression de l’opinion publique.
C’est le cas notamment du projet de fermeture de la centrale de Fessenheim, actée pour raison de promesse électorale.
Car les messages alarmants sur le sujet nucléaire sont plus volontiers repris par les médias que les analyses des spécialistes et une opinion publique étrangère à la culture scientifique est une proie facile pour les affairistes de la terreur.
Et cette opinion est versatile, comme vient de le confirmer le sondage Odoxa pour Challenges [2], qui révèle l’inversion de l’avis des français sur l’énergie nucléaire, avec une opposition de 53% contre 32% il y a à peine 5 ans.

Les enseignements d’un sondage
Le dépouillement de ce sondage met en lumière le clivage profond sur ce sujet, éminemment technique s’il en est.  Car l’opposition au nucléaire s’y trouve cristallisée dans les catégories populaires et, plus globalement, chez les français aux revenus les plus modestes. Ainsi que parmi les femmes (64%) et chez « ceux qui se perçoivent comme exclus ».
Tandis que les opinions favorables sont majoritaires chez les cadres (59%) et plus généralement chez les hommes (61%).
Par delà ce clivage, il n’est pas anodin de mentionner le peu de connaissance du problème d’une large part de ceux qui se prononcent, puisqu’un récent sondage [3] mettait en évidence le fait que près d’un français sur 2 (44%) pense que le nucléaire « contribue beaucoup à l’effet de serre » et que 16% a répondu « pas du tout ».

L’avis scientifique du GIEC

On sait que le dernier rapport du GIEC préconise, dans son résumé à l’intention des décideurs [4], une multiplication par 6 de l’énergie nucléaire mondiale, dans ses scénarios permettant de respecter les accords de Paris sans décroissance économique.
Précisément en raison de son absence d’émissions d’équivalent CO2 lors de son exploitation.
Rappelant que si la démocratie doit rester l’expression de la volonté du peuple, les principes scientifiques ne sauraient émaner d’un sondage d’opinion.
Et que l’efficacité d’une politique énergétique ne saurait davantage être le fruit d’une consultation populaire.

De l’intérêt des sondages
Dans « Le Lobbying », G. Lamarque écrit [5]:
« De plus en plus, les lobbies commandent à des instituts spécialisés des études d’opinion dont les questions sont soigneusement préparées afin de montrer le large courant de sympathie qu’accorde le public, bien au delà des seuls adhérents du lobby, à ses préoccupations ».
C’est ainsi qu’un précédent sondage [6] faisait savoir aux français qu’ils pensaient dépendre trop du nucléaire (à 74%), mais étaient favorables aux investissements dans les énergies renouvelables et avaient un avis positif sur la transition énergétique allemande.
Ce sondage, largement repris dans les médias [7], avait été cofinancé par une fondation politique allemande, « Heinrich. Böll [8]», affiliée au parti écologiste « Alliance 90/les verts ».

Notre parc nucléaire vu d’outre Rhin

Le rapport franco-allemand Agora/Iddri [9] constate : « le nucléaire a un cout marginal plus faible que le charbon, si bien que sa production peut se substituer à celle des centrales à charbon lorsque qu’il reste des capacités d’interconnexion disponibles. À l’inverse, si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne est améliorée. »
On peut s’interroger sur le peu de médiatisation de ce moyen simple de décarboner enfin la production électrique allemande.
L’opinion publique ne semble pas mieux préparée à déterminer par sondage si notre parc nucléaire est rentable ou ne l’est pas, ou si son développement est souhaitable pour notre sécurité ou pour l’avenir de la planète.
Et d’autant moins que depuis qu’un tsunami a frappé Fukushima, les factions antinucléaires occupent le devant de la scène pour colporter les rumeurs les plus fantaisistes [10].

Les raisons d’une politique énergétique
Le « doublon intermittent » de plus de 100 000 MW éolien/photovoltaïque allemands est susceptible de tomber à moins de 1% de sa puissance installée. C’est la raison pour laquelle il n’a toujours pas été en mesure de remplacer un seul des 100 000 MW pilotables en plus de 15 ans [11].
On ne saurait soupçonner Agora/Iddri de complaisance pour le nucléaire puisqu’il s’agit d’organismes en charge de la promotion de la transition énergétique.
Son rapport, précédemment évoqué, prévoit cependant une forte baisse de la rentabilité du parc nucléaire français si sa puissance reste inchangée mais que les énergies renouvelables telles qu’éolien et photovoltaïque continuent leur progression.
« Par delà l’argument tautologique … « on fait parce qu’on a décidé », certes, mais pourquoi a-t-on décidé ? » (Claude Mandil)
Nos politiques seraient avisés de se demander pour quel objectif on avait décidé de développer des énergies renouvelables intermittentes pour équilibrer notre réseau électrique. Et comparer les promesses de l’époque à la réalité d’aujourd’hui. Car la complexité des circonstances qui déterminent l’avenir industriel de notre pays semble peu compatible avec le recours à l’opinion publique pour légitimer leurs choix.

1 https://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-nullite-scientifique-des-politiciens_2043610.html

2 http://www.odoxa.fr/sondage/nucleaire-lopinion-sest-retournee-cinq-ans-desormais-francais-majoritairement-contre/

3 https://docplayer.fr/74314854-Barometre-developpement-durable-d-edf-synthese-des-resultats-france-de-la-vague-2017-jerome-cubille-edf-r-d.html

4 http://report.ipcc.ch/sr15/pdf/sr15_spm_final.pdf

5 https://books.google.fr/books?id=tUJYDwAAQBAJ&pg=PT20&lpg=PT20&dq=sondage+outil+lobby&source=bl&ots=p24hw9hMFu&sig=qGE4yu4iCXhvoltSaS_Nawj02Co&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwibh9aM4aHeAhUtyYUKHRCmB9IQ6AEwBHoECAUQAQ#v=onepage&q=sondage%20outil%20lobby&f=false

6 http://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-rapport-des-francais-a-lenergie/

7 https://www.liberation.fr/france/2017/12/07/energie-les-francais-veulent-plus-de-renouvelable-et-moins-de-nucleaire_1615118

8 https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondation_Heinrich_B%C3%B6ll

9 https://docplayer.fr/86154113-L-energiewende-et-la-transition-energetique-a-l-horizon-2030.html

10 http://lemontchampot.blogspot.com/2017/12/retour-fukushima.html

11 http://lemontchampot.blogspot.com/2017/03/ubu-chez-les-allemands.html

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